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Bonaparte, qui attirait tous les regards, et qui était alors vraiment l’objet de l’enthousiasme général, la cantatrice italienne produisit un très grand effet sur le nombreux auditoire qui assistait à cette cérémonie. Elle chanta aussi dans un concert qui eut lieu chez le ministre de l’intérieur le 30 octobre de la même année, et où sa beauté, sa voix et son magnifique talent furent mieux appréciés encore. À cette soirée chez le ministre de l’intérieur se trouvait aussi la Banti, autre cantatrice célèbre de la fin du XVIIIe siècle, dont l’histoire est un vrai roman. Mme Grassini donna ensuite deux concerts publics à l’Opéra avec le célèbre violoniste Rodde, qui était bien digne de lutter avec une virtuose de ce mérite. Tout le monde admira le style élevé, la voix pure et la physionomie enchanteresse de la cantatrice dont les dilettanti émérites disaient ce que disaient les vieillards de Troie de la belle Hélène : Elle vaut bien le prix d’une victoire !

On était alors aux premiers jours du consulat. Le général Bonaparte préludait à sa grande destinée et n’avait pas eu le temps de relever toutes les institutions monarchiques, parmi lesquelles il est juste de comprendre l’opéra italien. Mme Grassini, qui ne pouvait rester à Paris d’une manière régulière, fit un voyage en Allemagne et se rendit à Berlin, où elle donna plusieurs concerts dans le printemps de l’année 1801. L’année suivante, Mme Grassini fut appelée en Angleterre pour remplacer la Banti, qui venait de partir pour l’Italie. Mme Grassini rencontra à Londres une rivale redoutable, Mme Billington, avec laquelle elle fut obligée d’engager une de ces luttes intéressantes dont la vie des artistes est partout remplie. Il y aurait un livre curieux à écrire ce serait une histoire des cantatrices célèbres, d’après la méthode de Plutarque, où l’on aurait soin d’opposer celles qui se sont distinguées dans le style sérieux et noble aux prime donne qui ont eu des qualités contraires, en faisant jaillir de ce contraste mille observations piquantes. Dans aucune partie de l’Europe, ces luttes n’ont été plus fréquentes qu’en Angleterre, où les virtuoses italiens ont pénétré depuis le commencement du XVIIIe siècle, et où ils servaient de jouets à la rivalité des partis politiques. En effet, les whigs et les tories, le parti de la cour et celui de l’opposition s’embusquaient derrière un chanteur fameux dont ils faisaient un symbole de leur animosité, et dont ils opposaient le talent à celui d’un chanteur rival. C’est ainsi que, vers 1730, Handel, qui dirigeait le petit théâtre de Lincoln’s-inn-Field, était obligé de lutter contre celui de Hay-Market, sous la direction de Porpora, qui était patronné par les chefs de l’opposition. Le fameux sopraniste Farinelli, qui chantait les opéras de son maître Porpora, et Senesino, un autre célèbre sopraniste de la même époque qui tenait pour Handel, étaient devenus les champions de deux grands partis