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duc de Wellington ne se faisait pas tirer l’oreille pour répondre à cette tendre supplique par un sguardo sereno d’amor !

Mme Grassini a cessé de chanter en public depuis 1815. Sa voix, affaiblie, l’avertit qu’il était temps d’abdiquer aussi et de clore sa brillante carrière par un silence volontaire. Elle vécut depuis lors, tantôt à Paris et tantôt à Milan, usant noblement de sa fortune, et ayant conservé jusqu’à un âge très avancé des restes imposans de sa beauté et de son magnifique talent. Elle est morte à Milan dans le mois de janvier 1850, âgée de soixante-dix-sept ans, laissant une fortune de cinq cent mille francs.

Joséphine Grassini a été une des femmes les plus séduisantes de son temps. D’une taille moyenne, bien prise et fortement constituée, elle avait une tête ravissante, où brillaient la grace et la passion. Ses yeux longs, doux et languidi, s’ouvraient lentement et se remplissaient de lumière à mesure que le sentiment faisait vibrer les cordes de sa voix pénétrante. Cette voix était un contralto de la plus belle qualité, puissant, timbré, et d’une égalité parfaite. Très faible musicienne, ne pouvant aborder que des morceaux simplement écrits, comme l’était la musique de son époque, Mme Grassini suppléait à ce défaut d’éducation première par une grande manière de phrases et par une vocalisation sonore et pleine, consistant en ornemens de détail qui relevaient l’éclat de l’idée mélodique sans la surcharger de vains oripeaux. Ces ornemens, qui égayaient le tissu de son beau style, étaient des appoggiature énergiques, des mordans, des grupetti délicats, qui sont à l’art de chanter ce que seraient sur un vase précieux des ciselures finement burinées par un Benvenuto Cellini. Ayant presque passé sa vie à côté de Crescentini, Mme Grassini sut profiter de l’exemple de ce virtuose admirable. Elle lui emprunta sa méthode, qui était la méthode des Guadagni, des Pachiarotti, et des plus célèbres sopranistes du XVIIIe siècle. C’est par l’expression des sentimens, par une déclamation simple et vraie que se distinguait Mme Grassini. Dans sa lutte avec Mme Billington, elle ne put vaincre l’hostilité que lui montrait le public anglais qu’en déployant des qualités opposées à celles que possédait sa rivale.

J’ai eu le plaisir de voir et d’entendre Mme Grassini. C’était à Paris, dans un salon particulier, où elle chanta cet air des Horaces de Cimarosa :

Quelle papille tenere
Che brillano d’amore.


Sa voix magnifique, que le temps avait déjà ternie, son style large, soutenu, et sa manière incomparable de phraser, me sont restés dans la mémoire comme un idéal du bel art de chanter. Quand on a rencontré