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n’intervienne pas dans sa narration, bien qu’il ne se donne pas la peine de dégager de son œuvre la leçon qu’elle renferme et de l’adresser directement à ceux qui doivent l’entendre, la leçon parle assez haut. Dans la rudesse même de cette peinture, dans l’émotion compliquée et poignante qui en résulte, il y a un avertissement qui doit faire naître des réflexions sérieuses. Pour nous qui, en de tels récits, cherchons surtout le mérite du peintre et la vérité du tableau, nous ne pouvons que féliciter M. Kompert de l’audace avec laquelle il a mis en scène cette ignorance barbare, et des révélations si franches que son récit nous apporte. Quand on a lu la Seconde Judith, on pénètre dans les obscures et ardentes passions qui fermentent au fond de ces tribus opprimées, on voit à nu l’affreuse influence que le double fanatisme de religion et de race, exalté par tant de maux présens et tant de souvenirs cruels, peut exercer sur les ames simples, sur celles-là particulièrement qui seraient le mieux préparées à la vertu.

Heureusement, ce ne sont pas toujours là les pratiques dévotes du Ghetto. Les croyances des populations que M. Kompert s’est proposé de peindre se présentent sous maints aspects plus aimables. Des clartés nouvelles se sont introduites, non sans douleur, hélas ! chez ces natures incultes, et il y a profit à suivre dans les récits du conteur le développement de ces vicissitudes où tant de respectables intérêts sont engagés. Que les communications de plus en plus fréquentes, la diffusion des lumières et l’adoucissement des mœurs aient fait disparaître des classes bourgeoises l’âpreté de l’esprit israélite, c’est résultat qui ne doit pas surprendre ; au sein des régions inférieures, cet effacement des anciens types ne saurait s’accomplir sans des émotions profondes et de secrets déchiremens. L’antique fidélité, qui disparaît si facilement en haut, semble gagner en bas de plus solides attaches. Déjà frappé de mort à sa cime, le vieil arbre d’Israël conserve toute sa vigueur au tronc et aux racines ; c’est là que fermente encore la sève, c’est là qu’elle soutire et crie sous la cognée. Combien de fois ne voit-on pas, pour de simples raisons de convenance, les fils élevés dans la religion chrétienne, tandis que les pare,s, par pure convenance aussi, restent fidèles à leur passé ! Ces compromis, que permet dans les hautes classes le doute envahissant, sont impossibles chez les pauvres gens du Ghetto. Là aussi, le doute peut bien se glisser ; le jeune homme qui a quitté les ténèbres du quartier juif pour visiter les villes prochaines reviendra maintes fois avec une pensée troublée ; celui dont une mère imprudente a voulu faire un docteur rapportera de l’université une philosophie de l’histoire bien différente de celle que lui enseignaient les légendes de la maison paternelle. Cependant le père et la mère n’accepteront pas de tels événemens avec indifférence ; toute leur vie était là ; frappés au cœur, comme l’arbre déjà vieux à qui l’on arrache sa meilleure