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à l’aller et au retour. Ces hardis marins connaissent fort bien la sphère céleste : quand un orage passager obscurcit le ciel, la direction presque invariable de la brise peut suppléer pour quelque temps à l’absence momentanée des constellations qui les guident ; mais si cet indice même vient à leur manquer, si la brise régulière est affolée par l’orage, les Carolins se flattent de pouvoir reconnaître encore la route que suivent leurs pirogues par les formes diverses qu’affectent, selon le vent qui souffle, les flots soulevés de la mer. « La lame qui vient de l’est, disent-ils, est longue et peu bruyante ; celle qui s’avance des bords où le soleil se couche heurte les courans généraux et imite le bruit des brisans ; les vagues du sud-est ou du nord-est sent des vagues également courtes et saccadées que l’on pourrait confondre, si le vent du sud-est n’amenait à sa suite plus de grains et plus d’orages. » C’est généralement en cinq ou six jours que les pirogues d’Elat ou d’Ulie franchissent les cent lieues qui séparent les deux archipels et atteignent la pointe méridionale de l’île de Guam. Quelques-uns de ces esquifs périssent, d’autres s’égarent et sont souvent poussés jusque sur les côtes de Luçon, de Samar ou de Mindanao ; mais, quelles que soient les chances de la navigation, il existe d’incroyables ressources chez ces demi-dieux marins, chez ces hommes semblables aux mermen de la Scandinavie, qui se roulent dans les flots comme un enfant sur l’herbe de la prairie, et pour lesquels il est aussi facile, aussi simple de nager que de marcher.

Quand on compare à ces beaux sauvages, libres, nus, souples et intrépides, la chétive population des Mariannes, on s’étonne des rapides ravages que peut produire sur les races primitives le contact de notre civilisation. Les naturels de Guam vivent cependant sous un des climats les plus sains et les plus favorisés de la terre. La chaleur dans les îles Mariannes dépasse rarement, au plus fort de l’été, 30 degrés centigrades ; le froid y est inconnu. Des affections miasmatiques, communes à toutes les régions intertropicales, la dyssenterie est la seule qui cause à Guam quelques ravages, et encore cette terrible maladie ne s’attaque-t-elle en général qu’aux enfans. Les ressources du sol sont inépuisables : grattez la terre, vous récolterez bientôt du maïs, du taro, des ignames ou des patates douces. Ce travail vous semble-t-il excessif, restez étendu sur votre natte, à l’ombre des casuarinas ou des orangers, et laissez à la nature le soin de pourvoir à votre subsistance. La racine du manioc et la noix du palmier cycas, que la macération dégage de leur suc corrosif, vous permettront d’attendre que les branches du rima se soient chargées, vers la fin du mois de mai, de leurs fruits farineux. Le cocotier, fécond dès sa cinquième année, vous fournira la noix qui nourrit les volailles, engraisse les cochons, remplit d’une huile limpide la lampe du Chamorro ou parfume de