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Si, pour soustraire aux regards des étrangers ce représentant d’une influence qui voulait demeurer occulte, on avait osé porter la main sur des hommes protégés par la double puissance de la France et de l’Angleterre, que ne ferait-on point pour obéir à la plus sévère de toutes les prescriptions du Xo-goun ! Plutôt que de laisser l’Évangile germer sur cette terre entièrement dépendante du Japon, on n’hésiterait point à déporter, s’il le fallait, la moitié de la population aux îles Madjico-sima. Ainsi se trouvait expliquée l’étrange réponse de tous les habitans auxquels les missionnaires avaient pu à la dérobée annoncer la parole de Dieu : « Ce que vous dites est excellent, mais nous ne pouvons l’entendre ; il y a danger. » Nos missionnaires avaient donc été forcés de s’avouer qu’un plus long séjour aux îles Lou-tchou ne leur apprendrait point le moyen de lutter avec avantage contre la police la plus vigilante du monde, et de propager la religion chrétienne dans un pays ou personne ne se soucie d’encourir pour une foi quelconque l’exil, la prison ou la bastonnade. À dater de ce jour, ils ne songèrent plus qu’à retourner en Chine, où de plus belles moissons pouvaient récompenser leur zèle. Souvent, assis sur la plage, ils interrogeaient avec un secret espoir les nombreux et lointains canaux qui pouvaient conduire un navire sur la rade ; d’autres fois, au milieu de la nuit, ils croyaient entendre gronder le canon : plus de doute, c’était le navire attendu ; mais le soleil, en se levant, n’éclairait qu’un horizon désert, et les missionnaires, sortis à la hâte du couvent de bonzes qu’on leur avait assigné pour demeure, après l’avoir fait évacuer par les prêtres bouddhistes, rentraient lentement chez eux, déçus, mais résignés.

M. Adnet cependant, malade depuis vingt mois d’une affection de poitrine, semblait s’affaiblir tous les jours. Sa respiration était courte, oppressée ; sa voix, presque éteinte. Souvent les deux prêtres parlaient entre eux de la fin prochaine du moribond, comme d’une chose qui ne devait inspirer ni crainte ni regret. « Quelle joie dans le ciel, se disaient-ils, quand tous ces martyrs du Japon, saint Francois-Xavier à leur tête, viendront recevoir un nouveau soldat du Christ ! » M. Adnet s’éteignait insensiblement sans souffrir, ou du moins sans se plaindre. Il avait été obligé de renoncer à dire lui-même la messe, mais il l’entendait tous les matins. Enfin, le 1er juillet 1848, il rendit son ame à Dieu. Il n’était âgé que de trente-cinq ans. Son compagnon n’en avait que vingt-huit. Resté seul, le père Leturdu ferme les yeux et la bouche de son confrère, récite les prières des morts, et, minuit sonné, profitant d’un privilège accordé aux missionnaires, il offre le sacrifice de la messe en faveur de cette ame qui venait de prendre son vol vers le ciel. Pauvre jeune homme ! bien que son cœur n’ait jamais voulu s’avouer l’amertume de ces cruels instans, on peut croire que le lendemain,