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soit comparable à cette voie romaine. On en fait remonter l’existence aux temps les plus prospères des îles Lou-tchou, et, en vérité, cette chaussée fastueuse paraît presqu’un luxe inutile dans un pays où il n’existe d’autres véhicules que des palanquins portés à bras d’homme. Malheureusement, les pentes de la colline ne sont pas si bien adoucies que l’on puisse arriver sans fatigue à la capitale, surtout quand le soleil du mois d’août assiège de ses feux presque verticaux le piéton imprudent qui ose le braver en plein midi. L’aspect des rians coteaux, des fertiles campagnes qui nous entouraient, ranimait cependant notre courage et nous faisait oublier notre lassitude.

Quel ravissant paysage ! quel pays doucement ondulé ! quelle fraîcheur sous ces bouquets d’arbres jetés au milieu des vertes cultures ! Au sommet des collines s’étendent, comme la crinière d’un casque, les plantations de pins et de mélèzes ; dans les vallées étagées en terrasses, on cultive le riz et le taro. Les terres plus hautes et plus sèches sont plantées de cannes à sucre et de patates douces. La grande Oukinia est située entre le 26e et le 27e degré de latitude nord. Aussi la nature y a-t-elle rassemblé, comme à Ténériffe, les produits des climats tempérés et ceux des régions intertropicales. Le cocotier, qui ne croît guère au-delà du 20e degré, n’y balance point sur la plage son tronc élancé et son vert panache ; mais les autres membres de la famille des palmiers, le latanier, l’aréquier, le pandanus, tous ces arbres qui ne peuvent vivre que des rayons du soleil, apparaissent à chaque pas au milieu des conifères habitués à braver les frimas du nord. Enfin, après avoir gravi la dernière côte, nous entrâmes dans la ville, en passant sous trois arcs de triomphe, érigés vers le milieu du XVe siècle à la gloire des trois rois qui gouvernaient jadis la grande Oukinia. Le souverain de Choui, le glorieux Chang-pa-tsé, réunit alors à la couronne les états des deux autres princes, les royaumes de Fou-kou-tzan et de Nan-tzan. Ce fut la grande ère des îles Lou-tchou, le temps où les jonques oukiniennes faisaient un commerce considérable avec la Chine, le Japon et la presqu’île malaise. Les monumens de Choui datent tous de cette époque de prospérité : ils lui doivent ce cachet de solidité et de grandeur, si étranger d’ordinaire aux édifices élevés par la race mongole.

Une solitude absolue régnait dans la ville. Nous parcourions des rues larges, droites, mais que n’animaient point ces longues rangées de boutiques, ces échoppes en plein vent qui remplissent de bruit et d’activité les rues de Canton. Les maisons, bâties presque toutes au fond d’une cour, étaient entièrement dérobées à la vue par une enceinte de murailles grisâtres. Les habitans semblaient avoir évacué cette cité, qu’allaient souiller les pas des étrangers. Si parfois notre arrivée surprenait, au détour d’une rue, des hommes du peuple retournant à leurs travaux leur petite cantine portative à la main, nous