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de l’Etna et le littoral de Messine à Syracuse, je m’étais installé pour quelque temps à Palerme, où je me reposais, comme Annibal à Capoue, dans de véritables délices. Pour un demi- ducat, on me servait à l’hôtel de l’Europe des festins de Sardanapale et des vins exquis. Un jour, mon voisin de table, le seigneur Vincenzo, qui était Napolitain, ne faisait que murmurer entre ses dents contre le prix exorbitant du dîner, contre les mets, contre la qualité du vin, et il n’eut point de cesse qu’on ne lui eût donné la potion noire comme de l’encre à laquelle son palais était accoutumé. Il me proposa de me conduire dans une piccola locanda où l’on mangeait beaucoup mieux, disait-il, et pour moins d’argent ; mais je connaissais son faible pour les tavernes, et je refusai.

Le soir du même jour, je me promenais dans les rues de Palerme avec un Français, M. A. R., grand voyageur et fort épris de la Sicile. C’était en mai 1843. Il y avait dans l’air je ne sais quoi d’enivrant. La brise de mer chuchotait dans le feuillage des chênes verts et des tulipiers de la promenade publique. La lune se levait derrière le cap Zaferano, qui ressemblait à un grand sphinx baignant ses pieds dans la Méditerranée. La cloche de la cathédrale appelait les fidèles au Salut avec des sons doux et veloutés. Nous ne disions mot, mon compagnon et moi ; nous humions le zéphyr en soupirant, comme si tant de bien-être eût été un excès pour nos constitutions de Parisiens. Devant la magnifique fontaine de Garoffello, notre voisin le Napolitain vint nous rejoindre. Par un travers d’esprit assez commun en Italie, cet original crut voir dans notre enthousiasme pour les délices de Palerme un affront à sa ville natale, et il se mit à tourner sa malice contre tout ce que nous admirions avec un parti-pris de taquinerie et de dénigrement qui m’échauffa les oreilles. Je trempai le bout de ma canne dans le bassin de la fontaine, et je lui dis : — Seigneur Vincenzo, laissons à chaque pays ses beautés et privilèges. Sans chercher bien loin, voici un agrément dont la privation se fait sentir à Naples. Des gerbes d’eau comme celles-ci ne seraient pas de trop sur votre place du Castello.

— Qu’importe une fontaine ! dit le seigneur Vincenzo d’un air dédaigneux. L’eau de nos citernes est la meilleure du monde.

— Elle est si précieuse, répondis-je, qu’il faut la ménager, sous peine de boire bientôt de l’excellente vase. Il est vrai qu’on se lave peu à Naples, qu’on n’y prend pas de bains, et qu’on n’arrose jamais les rues ; mais je préfère la prodigalité des fontaines de Palerme à une si sage économie.

— Je proteste contre cette critique téméraire, s’écria don Vincenzo piqué au vif. Vous oubliez l’eau de Carmignano, qui est apportée dans un quartier de Naples par l’aqueduc de Caserte. Cela touche à l’histoire