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courant. Une vieille femme, qui connaissait les mœurs des bonacchini, se mit à crier que cet homme allait faire un malheur ; mais le coureur avait tourné dans la rue de Tolède, et on le perdit de vue. Don Vincenzo, qui se rendait au palais royal, se sentit heurté fortement dans le côté droit par un homme du peuple qui passa devant lui. Il crut avoir reçu un coup de coude, et au bout de quelques secondes seulement, il s’aperçut qu’il était blessé. Il poussa des cris aigus en cherchant à désigner l’assassin ; mais le bonacchino était déjà bien loin : on le vit tourner à droite et s’enfoncer dans un labyrinthe de petites rues où il devenait inutile de le poursuivre.

Le pauvre don Vincenzo se crut mort jusqu’au moment où le médecin lui jura par tous les saints, après avoir sondé la blessure, qu’il n’était point dangereusement atteint. On lui mit le premier appareil, et on le conduisit en fiacre à la police. Lorsque le commissaire lui demanda s’il avait des indices à donner sur l’assassin, don Vincenzo assura que c’était Dominique, et qu’il l’avait parfaitement reconnu à sa taille, à ses larges épaules et à ses jambes d’Hercule. On eut beau lui représenter que, Dominique étant sous les verrous depuis un mois, il fallait que ce fût un autre : don Vincenzo persista dans sa première déclaration avec tant d’opiniâtreté, qu’au lieu de guider la justice, il la dérouta complètement. On chercha parmi les pêcheurs de thons ceux qui offraient quelque ressemblance avec Dominique, mais on trouva une foule de gaillards à larges épaules, à jambes d’Hercule et vêtus de la bonacca. La moitié de la population mâle du Borgo répondait au signalement. Les magistrats, ennuyés de ne rien découvrir, jetèrent bientôt cette affaire dans le sac aux oublis, et don Vincenzo en fut pour ses hauts cris et sa blessure.


— Vous comprenez, à présent, poursuivit M. A. R., pourquoi Dominique, qu’on relâcha de guerre lasse après deux mois de prison, ne peut plus approcher de notre ami le Napolitain sans lui donner des crispations. Tout homme qui porte la bonacca est devenu pour don Vincenzo un brigand et un coupe-jarrets. De là vient l’accueil peu gracieux qu’il a fait tout à l’heure devant la fontaine de Garoffello à celui qu’il considère comme son meurtrier.

La belle Pepina demeura ferme dans ses résolutions jusqu’à l’Assomption de l’année dernière. Le lendemain de cette grande fête, selon l’usage de ce pays, les novices de son couvent descendirent au parloir pour vendre des confitures faites par les nonnes. Il se trouva parmi les chalands un cavalier d’une belle figure qui la remarqua et lui plut. C’était un propriétaire de Trapani assez riche, mais veuf, d’un caractère violent, et qui passait pour avoir tué vertement sa première