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actes eux-mêmes qu’au caractère dont ils sont l’indice. Le mépris et l’admiration parlent peu chez eux. Ils ne possèdent pas la clairvoyance qui fait découvrir des natures humaines de mille espèces, les unes immondes, les autres glorieuses, les unes grossières comme le polype, les autres riches et harmonieuses comme les êtres où s’accordent des multitudes d’organes.

Ces remarques, si je ne me trompe, ne sont point déplacées ici, quoiqu’elles remontent bien loin des trois poètes anglais dont je voudrais parler. C’est qu’en effet, à les parcourir, il est difficile de ne pas songer qu’il y a loin et très loin du midi au nord. Ce sont trois natures tout-à-fait différentes et de talens fort inégaux ; pourtant, si on les regarde l’un à côté de l’autre, on distingue vite entre eux une ressemblance que la diversité de leurs traits ne rend que plus saisissante, plus saisissable du moins. Cet air de famille, c’est le type anglo-saxon, c’est un caractère national qui semble plus accentué que jamais.

On nous répète que les peuples et les individus vont chaque jour se rapprochant, et qu’un moment viendra où ils se fondront tous dans une grande unité humaine. Je n’en découvre pas les indices, tant s’en faut. Il me paraît que l’Angleterre se dégage de plus en plus des traditions romaines de son éducation, et que, dans sa littérature, je puis suivre une vague qui monte toujours pour s’éloigner toujours du midi, De tout temps, sa poésie avait dénoté des hommes fortement portés aux retours sur eux-mêmes. Malgré elle, elle était intense et individuelle elle l’est de propos délibéré. L’étrangeté un peu fantasmagorique de M. Tennyson ou de Mme Browning n’a pas d’autre cause. C’est l’allure nouvelle d’une langue d’images qui a mis de côté les vieux scrupules pour mieux satisfaire les instincts qui voulaient parler. L’art de décrire a été renié. J’appellerais volontiers le nouvel art : celui de composer des philtres agréables ou enivrans avec des prédilections humaines et des humeurs morales. Au contact d’un événement, d’un rêve ou d’une circonstance, le poète ne cherche plus à deviner et à décrire ingénieusement ce qui l’a touché : c’est le contrecoup intérieur qu’il traduit. Ses vers sont la réponse d’un caractère qui rejaillit sous un choc, et qui révèle en rejaillissant tout ce qu’il renfermait.

Ce n’est pas tout, et je voudrais appuyer plus particulièrement sur ce point. En levant les yeux sur l’histoire de l’Angleterre, il me semble que je découvre comme une autre série d’efforts périodiques qui tous tendaient vers le même pôle inconnu, qui d’abord ont transformé les idées religieuses, et qui de nos jours ont enfin abouti en poésie. Dès le commencement du XVIIIe siècle, au plus beau temps des systèmes, je vois les fondateurs du méthodisme, les deux Wesley : curieux novateurs, car ils ne professent aucun mépris pour leurs devanciers. Loin