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vraie droiture comme les sentimens généreux ; seulement, si je ne m’aveugle, la sagesse y est mal appliquée. Le poète me semble avoir trop cru avant de regarder. Il est des couvres où la conclusion vaut mieux que les considérans ; ici c’est le contraire, je crois. Et par exemple :


« — Qu’est-ce que l’Italie ? demandent des voix, et d’autres répondent : — Virgile, Cicéron, Catulle, César. — Et quoi de plus ? — La mémoire, si on la presse, jette encore : — Boccace, Dante, Pétrarque, — et, si elle semble encore trop verser goutte à goutte sa liqueur : — Michel-Ange, Raphaël, Pergolèse, tous grands hommes dont le cœur palpite encore dans le marbre, ou dont l’ame électrise des toiles et va puiser au ciel sa musique. Mais, après cela, quoi de plus ? Hélas ! rien. Les derniers grains du chapelet sont épuisés, quand on a nommé le dernier des saints du passé ; après eux, il n’est plus dans le pays personne qui prie. Hélas ! cette Italie a trop long-temps ramassé des cendres héroïques pour s’en faire le sablier de ses heures… Nous ne sommes pas les serviteurs des morts. Le passé est passé. Dieu vit, et il fait poindre ses glorieuses aurores devant les yeux des hommes qui s’éveillent enfin, et qui mettent de côté les mets du repas du soir pour songer à la prière du réveil et à l’action virile…

« Cela est vrai : quand la poussière de la mort a étouffé la voix d’un grand homme dans sa bouche, ses plus simples paroles deviennent des oracles ; les significations qu’il y attachait les emportent comme un attelage de griffons. Cela est vrai et bon. Aussi, quand les hommes répandent des fleurs pour rendre témoignage que l’ame de Savonarole s’en est allée en flammes sur la place de notre grand-duc et qu’elle a brûlé pour un instant le voile tendu entre le juste et l’injuste, et qu’en le trouant elle a laissé voir comment Dieu était tout près jugeant les juges, moi aussi, sur les dalles jonchées de fleurs, je tiens à jeter mes violettes avec un respect aussi scrupuleux. Pour ma part, je veux prouver que les hivers et leurs neiges ne peuvent pas laver sur la pierre et dans l’air l’odeur des vertus d’un homme sincère… Ce serait indigne de marchander à Savonarole et aux autres leurs violettes. Des fleurs plutôt au plus vite, et toutes fraîches pour s’acquitter envers eux ! La solennité de la mort rend plus frappante l’éloquence de l’action qui a parlé dans les muscles du vivant, et les hommes qui, pendant leur vie, n’avaient été que vaguement devinés montrent toute leur taille en s’étendant à terre. Leur taille plutôt s’exagère aux yeux d’une noble admiration qui grossit noblement, et ne pèche pas par cet excès, car cela est sage et juste. Nous qui sommes la progéniture des enterrés, si nous nous retournions pour cracher sur nos devanciers, nous serions vils. Des violettes plutôt ! Si les morts n’avaient pas parcouru leur mille, pourrions-nous espérer de franchir notre lieue ? Apportez donc des violettes ; mais pourtant, si nous consumons tout notre temps à semer des violettes en nous faisant défaut à nous-mêmes, autant vaudrait que ces morts n’eussent pas vécu et que nous n’eussions pas parlé d’eux. Debout donc avec un gai sourire ! Après avoir semé des fleurs, moissonnons le grain, et, après avoir moissonné, faisons sortir la charrue pour tracer de nouveaux sillons dans la fraîcheur salubre du matin et pour semer le grand ensuite dans ce présent…

« En attendant, dans cette Italie où nous sommes, ce qu’il nous faut, ce