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Paysages, costumes, noms propres, personnages, caractères, tout porte l’empreinte du pays natal ; mais comme ces traits sont distribués avec mesure ! comme ils concourent à faire valoir les deux principales figures, au lieu de les étouffer ou de les amoindrir sous des enjolivemens parasites ! Primel et Nola sont deux amans vêtus à la mode de leur province ; mais leur amour parle la langue immortelle, et leur physionomie, dans ce cadre, n’en ressort que plus franche et plus nette. M. Brizeux a donné, pour cortége et pour couronne à ces rustiques fiancés, d’autres poésies champêtres qui, loin de troubler l’harmonie du livre, semblent, au contraire, l’accompagnement naturel de cette douce légende. On dirait un chœur champêtre s’élevant des bords de l’Izole et de l’Aven, ses deux rivières préférées, et alternant avec les amoureuses mélodies du jeune pâtre et de labelle veuve. Partout, dans ces pièces détachées comme dans son poème, on reconnaît cette manière sobre et chaste, ennemie de toute grace factice ou mignarde, que M. Brizeux a su conserver au milieu des entraînemens contemporains. Partout on sent circuler cette sève des vieux chênes, ce souffle des collines de Cornouailles, qui n’ont rien de commun avec la Bretagne des romances et des troubadours de salons. Enfin, pour parler comme M. Brizeux lui-même,

Un vers franc imprégné d’une senteur sauvage,


voilà ce que l’on rencontre à chaque pas dans cette poésie qui ne connaît ni le clinquant ni le fard, et ce vers du poète pourrait servir d’épigraphe à tout cet aimable livre.

On le voit, il y a toujours une place pour le vrai talent, toujours un mot à en dire ; mais que dire de la médiocrité confiante, remplissant un gros volume de vers sans poésie et de maximes sans pensée ? Hélas ! nous ne demanderions pas mieux que d’encourager M. Léon Pichot, auteur de ces Maximes, Appréciations et Poésies ; son ouvrage est rempli de bonnes intentions, et on peut au moins le louer d’avoir attaqué, en prose et en vers, des doctrines dangereuses. Là se borne, par malheur, tout son mérite, et il nous est impossible de voir en M. Pichot ni un successeur de Larochefoucauld, ni un émule de M. de Musset. Comment caractériser, par exemple, des maximes telles que celle-ci : « On a écrit deux fois pour les femmes l’Art d’aimer ; il serait bien temps qu’on écrivît une fois pour elles l’art de pratiquer et de conserver la vertu ? » A coup sûr, cela est vrai ; il est très honorable de le penser et de le dire ; mais on conçoit qu’un livre composé d’un millier de maximes de cette force n’ouvre pas sur le cœur humain des perspectives bien nouvelles ni bien profondes. On ne peut que s’incliner, fermer le volume et passer outre.

Pourtant, ces vérités trop vraies, ces truisms, comme disent les Anglais, qu’une intelligence naïve peut seule prendre pour des pensées originales, sont encore bien préférables à ce que nous appellerons le délire de la fantaisie chez les hommes sans talent. Sterne, Swift, Henri Heine, tous ces humoristes éminens qui ont fait chatoyer la raison au feu de leurs caprices, comme le diamant au soleil, pour en augmenter l’éclat, ne se doutaient pas qu’ils auraient un jour pour disciples MM. Edmond et Jules de Goncourt, et que ces disciples étranges écriraient, sous ce titre vague et cabalistique, En 18…, quelques centaines de pages qui ressemblent à un défi jeté à tout esprit et à tout bon sens. S’occuper d’un pareil livre, signaler cet excès de démence, le prendre au sérieux