Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fille, dont le nez retroussé, la bouche riante et les yeux mutins trahissaient le caractère.

— Et on a donc quitté comme cela l’oncle de l’ermitage Saint-Vincent ? reprit le pêcheur ; la belle Entine n’a pas pu prendre goût à la métairie ?

— Non, répliqua ironiquement la fileuse ; cela m’ennuyait de ne pas conduire la charrue et de n’avoir le droit de commander ni aux bœufs ni même aux gars du logis.

Lézin cligna l’œil.

— M’est plutôt avis que tu avais regret de la ville de Nantes, reprit-il hardiment ; la ville est le vrai endroit pour les jolies filles et pour les filous !

— Est-ce que vous avez donc aussi idée d’y aller, monsieur Lézin ? demanda Entine avec un air d’innocence dont le pêcheur ne fut point dupe.

— Maligne taupe ! dit-il, bien fin sera celui qui te vendra !

— Et bien heureux, j’espère, qui pourra m’acheter ! ajouta la jeune fille ; mais pour cela il faudra une messe et un anneau bénit.

— Oui, oui, reprit Lézin en riant, je sais que tu ne veux pas marauder sur la rivière d’amour, comme dit la chanson ; il te faut un permis de pêche.

— Et elle ne se sert pas de filets prohibés, objecta gaiement Méru.

— Parce que le poisson vient de lui-même à la nasse, répondit le pêcheur : l’honnêteté des filles ressemble à celle des garçons, mon vieux ; c’est une histoire de circonstance ; si je trouvais mon profit à être un saint, je me ferais canoniser. — Mais où la mènes-tu comme ça à Nantes ?

— Dans une belle maison de sapin, portée sur deux roues qui tournent sans la faire avancer, dit Entine.

— Le moulin de la tante Rinot ?

— Tiens ! tiens ! vous comprenez les devinailles ?

— Plus que tu ne crois, ma pauvre ablette ! à preuve que je peux te dire ce qui te rend joyeuse d’aller demeurer au moulin de la Madeleine.

— C’est peut-être parce que la farine ne noircit point la peau.

— M’est avis que ce serait plutôt parce que le meunier est un beau gars.

— Le meunier ? répéta la jeune fille ; maître Lézin ne sait donc pas que la tante est veuve ?

— Mais les veuves ont des fils, reprit le pêcheur, et j’en vois un à deux pas qui doit être en humeur de chercher une galande. Réponds voir, François ; c’est-il pas la vraie vérité ?

Le jeune homme auquel il s’adressait était ce qu’on appelle un garçon