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Tous deux restèrent un moment suspendus sur l’abîme ; mais un effort suprême ramena André au relais du contrefort avec son fardeau. Il venait de l’y déposer, lorsqu’un mugissement terrible retentit à ses pieds, et une pluie glacée lui rejaillit au visage : le moulin achevait de disparaître sous les eaux.

Les mariniers, accourus avec des cordes, l’aidèrent à remonter la jeune fille, qui arriva sur le pont évanouie.

Toutes les recherches faites pour retrouver sa tante furent inutiles ; emportée avec les débris du moulin, elle resta ensevelie sous la débâcle de même que François et maître Méru. Un seul jour avait ainsi enlevé à Entine toute sa famille nantaise. Dès qu’elle fut remise de sa terrible secousse et qu’elle eut assisté en grand deuil à l’office commémoratif célébré à la paroisse des défunts, elle se remit en route pour l’ermitage Saint-Vincent, seul asile qui lui restât désormais. Ce fut là qu’André la revit. Les préventions de Méru n’étaient point partagées par le métayer de l’ermitage. Sachant que sa nièce devait la vie au jeune patron, il le reçut avec cordialité. Un grand changement s’était fait d’ailleurs dans la position d’André. La veste de maître Jacques, déposée sur la rive, avait été retrouvée avec le portefeuille destiné au jeune homme. Comme il en ignorait l’origine, il crut hériter seulement des secrètes économies de son père, et cette opulence inespérée eût suffi pour imposer silence à toutes les objections. Trois mois après les événemens que nous venons de raconter, il épousa Entine à Saint-Vincent : il n’avait point oublié son expulsion de la marine de Loire, nais il n’essaya rien pour y rentrer et renonça à la navigation.

Les voyageurs qui descendent d’Angers à Nantes peuvent encore voir aujourd’hui, entre Chantocé et lngrande, un chantier de merrains de bardeaux et de bois de sapines. Vers le fond, au milieu d’un jardin, s’élève une maisonnette dont la blanche façade, ourlée de vignes et de rosiers du Bengale, regarde la Loire : c’est la retraite choisie par André ; c’est là qu’il vit heureux avec Entine, aux bords du fleuve qu’il aime et au bruit des eaux qui lui rappellent tant de souvenirs.


EMILE SOUVESTRE.