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raison et de la liberté. Aussi quand, en 1845, il avait reparu à Rome, amis ou ennemis, tout le monde, sous l’habit du pair et de l’ambassadeur de France, avait reconnu le libéral de Bologne et le réfugié de 1815. Une telle constance de libéralisme n’était point faite, sous un pontificat aussi ombrageux que celui de Grégoire XVI, pour rendre à M. Rossi sa situation facile à Rome. La mission dont le gouvernement qu’il servait alors l’avait chargé n’était guère plus propre à lui concilier la cour romaine. Les jésuites, après avoir divisé la Suisse ; agitaient encore une fois la France. Pressé par l’opinion publique, le cabinet des Tuileries avait cessé de pouvoir ignorer les progrès de la célèbre société ; il s’était vu obligé de demander au saint-siège d’ordonner la dissolution de ses établissemens, et c’était cette demande qu’il avait chargé M. Rossi de présenter et de faire accueillir. On imagine sans peine quelles difficultés dut rencontrer, dès son arrivée dans la.capitale du monde chrétien, alors livrée à la toute-puissante influence de la société de Jésus, l’italien révolutionnaire devenu ambassadeur de France, qu’une sorte de malice de la fortune avait fini, après trente ans d’aventures, par investir d’une aussi délicate mission. Une clameur universelle s’éleva contre lui, et d’abord elle fut si forte, que, malgré la bienveillance particulière de Grégoire XVI pour sa personne, M. Rossi ne fut pas même reçu comme simple envoyé. À quelques semaines de là, il était officiellement reconnu et accueilli en qualité d’ambassadeur, et il avait si bien persuadé ce qu’il était venu demander, que la cour de Rome, en prononçant la dissolution des établissemens de la société de Jésus, suspects à l’opinion et au gouvernement français, paraissait avoir plutôt adopté la mesure que l’avoir accordée. La dextérité infinie de M. Rossi, son habileté consommée à manier les affaires et les hommes, avaient fait ce miracle. À partir de là, et plus il avait été, plus son autorité près du saint père et du cardinal-ministre s’était affermie, si bien qu’à la mort de Grégoire XVI, il n’était point d’ambassadeur étranger dont le crédit en cour de Rome fût aussi sûr que le sien. Le nouveau règne n’avait fait que consolider et qu’accroître ce crédit. La part qu’avait prise l’ambassadeur de France à l’élection du cardinal Mastaï n’était un mystère pour personne. On disait librement dans Rome que sans lui jamais Pie IX ne fût sorti d’un conclave dont la plupart des membres étaient de la création et respiraient l’esprit de Grégoire XVI. Le nouveau pape était animé envers lui d’une affection et d’une estime qu’il avait exprimées plusieurs fois en public, et dont il ne cessait de donner des preuves en accueillant à toute heure sa personne et ses conseils avec un empressement et une effusion même qui frappaient tout le monde.

M. Rossi, dans cette haute faveur, prodiguait les plus sages avis. Bien que long-temps il l’eût quitté, il aimait profondément son pays.