Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Déjà, en 1668, lorsqu’il était à peine âgé de huit ans, la France et l’Autriche, se fondant sur les droits que leur donnaient leurs alliances, s’étaient partagé ses états, et, sur le bruit de sa fin prochaine, des traités, signés par l’Angleterre, la France et la Hollande, avaient de nouveau démembré sa succession avant qu’elle fût ouverte. Blessé dans sa dignité d’Espagnol et de roi à la vue de cette grande monarchie de Philippe II qui allait périr avec lui, Charles mourant s’était fait ouvrir les tombeaux de l’Escurial pour baiser les ossemens de ses ancêtres et chercher auprès d’eux l’inspiration des grandes choses. « Tout traité est nul, s’écria-t-il en apprenant le traité de partage, tant que Dieu ne l’a pas signé. » Et, après avoir consulté le pape, les théologiens, les plus célèbres jurisconsultes, il écrivit, le 2 août 1700, un testament dans lequel il désignait pour héritier un petit-fils de Louis XIV, Philippe de France, duc d’Anjou, fils du grand-dauphin.

Telle est, réduite à la simple exposition des faits, l’histoire de ce testament célèbre qui devait allumer une guerre européenne, et qui a donné lieu, de la part des écrivains étrangers, à tant de récriminations contre la France, et de la part d’un grand nombre d’écrivains français, à tant d’appréciations fausses et de reproches contre l’ambition de Louis XIV. Le rôle de la France, ont dit les étrangers, fut, dans cette circonstance, un rôle indigne. Après avoir signé deux traités de partage, elle acheta à la cour de Madrid de puissantes influences, et elle abusa de la faiblesse du roi d’Espagne pour faire attribuer, en violant sa foi, le trône de Philippe II à l’un de ses princes. — Louis XIV, ont dit à leur tour quelques écrivains français, a précipité le royaume dans un abîme de maux par ambition de famille. — M. Moret oppose à ces deux allégations des faits irrécusables, et il prouve, en s’appuyant sur des textes nouveaux et authentiques, que le testament de Charles II fut uniquement inspiré à ce prince par la noblesse espagnole, qui, pour sauver l’unité du pays, lui conseilla d’appeler au trône le petit-fils du monarque le plus puissant de l’Europe, et d’assurer, par le choix même de son successeur la plus solide alliance. Il prouve également que les agens diplomatiques français furent complètement étrangers à la résolution de Charles II ; que Louis XIV, loin d’avoir cherché la couronne d’Espagne, refusa d’abord, et ce fait était resté ignoré, d’accepter le testament ; qu’enfin, en se décidant plus tard à l’acceptation, il agit, vis-à-vis de l’Espagne, de la France et de lui-même, conformément aux principes d’une saine politique. En effet, à défaut de la France, Charles II se rejetait dans les bras de l’Autriche, et l’Autriche, qui certes n’aurait pas refusé, se trouvait, d’un seul coup, en possession de la plus puissante monarchie des temps modernes. Elle pressait et enlaçait la France par l’Espagne, les Flandres, l’Italie ; tout ce que la France avait fait contre elle depuis deux siècles se trouvait perdu en un jour ; le refus du roi anéantissait l’œuvre de Louis XI, de François Ier, de Henri II, de Henri IV, de Richelieu, de Mazarin. Lors même que Louis XIV, en refusant, s’en serait tenu au traité de Londres, il fallait toujours combattre l’Autriche pour lui arracher les parts que le traité attribuait au dauphin. Comme le disait M. de Torcy, alors ministre des affaires étrangères, il n’y avait pas à choisir entre la paix et la guerre, mais entre la guerre et la guerre ; et, puisqu’il fallait combattre, mieux valait le faire après tout en ayant l’Espagne pour alliée au lieu de l’avoir pour ennemie. Ce sont là des élucidations très importantes, parce