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des vendanges définitives, la fête et l’espérance du vin nouveau. Pour les gens du nord, ce n’est rien ce mot : vendange ! À ce souvenir, un homme du midi sent battre son cœur, et soudain lui apparaissent en leur déshabillé charmant les belles heures de son enfance, en pleine santé, en pleine abondance, en pleine sécurité de l’ame et d’un beau jour. De Rhodez même, on allait aux vignes en grand triomphe. Premièrement on avait grand soin d’asseoir la mère de famille sur le dos d’une douce et paisible haquenée ; les enfans, montés sur les ânes, faisaient cortége à leur mère ; les domestiques et les vendangeurs suivaient à pied, le panier au bras ; l’ovation amenait à sa suite un char rustique, attelé de deux bœufs ; le char était rempli des pains savoureux et des grandes formes de fromage du Cantal. Quatre lieues séparaient la ville du vallon, quatre lieues sans fin, par un terrain étiolé, parsemé de pruneliers sauvages ; mais plus la route est longue et plus le charme est grand, lorsque tout à coup à ces beaux regards impatiens viennent s’ouvrir ces vallons de Tempé, chargés de vignes et d’arbres fruitiers ! Et la vigne, et la pomme dorée, et le pampre ami des hauteurs, et la pêche balancée au vent du midi s’en vont franchissant ces douces collines de compagnie, et décorant de leurs splendeurs savoureuses ces longues expositions où la feuille verte de l’été, mêlée à la feuille jaunissante de l’automne, protège le raisin mûr contre les rayons du soleil. O la joie ! et les enfans de crier : Terre, terre ! et de s’emparer de leurs domaines, à la façon de Guillaume, ivre à l’avance de sa conquête.

Dans les vignes de Monteil le père, Mme Monteil seule était sérieuse : elle restait d’ordinaire au logis, ne se sentant pas assez vaillante pour franchir les terrasses à travers ces ceps pareils à des buissons d’épines ; elle se plaisait dans le pré attenant à la maison, sous quelques arbres touffus dont elle aimait l’ombre et le frais ; elle se promenait seule, en silence, et, quand par hasard son fils Alexis lui tenait compagnie, il sentait, au tressaillement de la main maternelle, que sa mère en était heureuse ! « Elle était elle-même si charmante ! Un si tendre parler, un si doux sourire ! » Sa conversation était remplie de peintures, de poésie et de sel, comme les bons morceaux des romans de Lesage. — Elle se plaisait en mille causeries avec elle-même. – « On la voyait des heures entières à sa fenêtre et les yeux levés au ciel. — Ma chère femme, à quoi pensez-vous ? lui disait mon père. — A l’éternité ! répondait-elle de cette douce voix qui allait à l’ame. » Cette noble tête se penchait sans épouvante au-dessus de ces abîmes sans fin, sans limites, au-delà du temps, au-delà de l’espace… l’éternité !

Il ne fallait pas moins de quinze grands jours pour venir à bout de cette vendange, après quoi s’en allait chaque vendangeur, emportant pour sa peine une pièce de trente sous et son panier plein de raisins.