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on la vint prendre, la pauvre fille ! et elle fut jetée au fond de l’in pace, aux chants funèbres du De Profundis ! Épreuve horrible, et quand, deux ou trois heures après, on vint pour la tirer de son cachot,… elle était folle ! Elle disait souvent dans sa folie des mots sensés, des paroles véhémentes. Elle mourut enfin ; on l’enterra sous les amandiers du jardin, et la petite Annette, au fond de l’ame, se promit à elle-même qu’elle ne porterait pas le voile éternel.

Un matin, les portes de tous ces cloîtres s’ouvrirent d’elles-mêmes ; la vie et le soleil envahirent ces sombres maisons : Annette s’enfuit, légère comme une abeille, et elle le vit enfin, ce monde qui lui apparaissait si glorieux à travers les grilles de sa prison… Non, ce n’était pas là le monde enchanté de ses rêves ! Il obéissait, en ce moment, à toutes les mauvaises puissances ; l’anarchie avait brisé toutes les barrières ; l’improbité et le despotisme avaient fait de la société humaine une espèce de jeu de hasard, où chacun jouait avec des dés pipés son propre honneur et sa fortune contre la fortune et l’honneur de son voisin : époque funeste de batailles sans nom que se livrent des malheureux sur un sol miné de toutes parts ! Partout la nuit, le silence, l’horreur, le joug, la spoliation effrénée, et la faim et la peur. Annette alors regretta le cloître et la tombe des filles ensevelies sous l’amandier en fleurs. Elle assista, cette enfant, à toutes ces morts violentes sur les échafauds ambulans ! Son père était riche, il fut pauvre ! Il habitait un magnifique hôtel, la maison même du grand Rivié : il fallut que le père de famille vendît ses tableaux, ses livres, ses meubles précieux ; il fallut vendre enfin la maison même, et se retirer avec ses neuf enfans dans une chétive métairie de deux charrues. On raconte que dans ce petit coin de terre, à l’abri de tant d’orages, sous le chaume, il y eut comme une trêve de Dieu parmi ces pauvres gens, occupés de mille petits travaux assortis avec leur intelligence et leur jeunesse. Ils s’étaient partagé les travaux de cette maison rustique : les garçons tenaient la charrue, et les filles avaient soin du ménage ; Annette allait dans les champs, gardant les moutons ; elle avait alors ses dix-sept ans, elle portait une robe qu’elle avait filée. « Annette était dans la prairie, et Lubin n’était pas loin, » dit M. Monteil. Lubin, c’était lui-même. Il obéit au dernier vœu de son père, et, chargé d’espérances, léger d’argent, il s’en vint chercher cette noble main, qui lui était promise. À peine mariés, il fallut partir et quitter le lit nuptial, « dont la courtine était faite d’une robe de ma mère. » Adieu donc aux solitudes aimées ! adieu, gazons, fontaines, doux et riant soleil ! « Quand nous fûmes parvenus à un certain détour que fait la route, au bout du champ Malfeu, entre la Châtaigneraie et le ruisseau : — Voici, me dit-elle, les limites de nos domaines, je n’ai jamais été plus loin ; et