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dans son premier Faust, n’avait pas remarqué cette féconde indication, en admettant qu’à cette époque il ait déjà connu les livres populaires, et que les jeux de marionnettes n’aient pas été la source unique à laquelle il ait puisé. Ce fut seulement quarante années plus tard, dans la seconde partie de son drame, qu’il mit en scène l’épisode de la belle Hélène, et il faut avouer qu’il le traita con amore. C’est certainement ce qu’il y a de mieux, ou, à vrai dire, c’est la seule chose qui soit bonne dans cette seconde partie du Faust : forêt d’allégories, labyrinthe obscur qui, s’éclaircissant soudain, découvre à nos yeux, sur un piédestal de bas-reliefs mythologiques, ce sublime marbre grec, cette statue divinement païenne, dont l’aspect subit inonde l’ame de joie et de lumière. C’est la plus précieuse sculpture qui soit jamais sortie de l’atelier du maître, et on a peine à croire que la main d’un vieillard ait pu ciseler un morceau si parfait. Du reste, c’est l’œuvre d’un talent calme et réfléchi bien plutôt que le produit spontané de l’imagination, car l’imagination, chez Goethe, n’éclate jamais trop hardiment, et c’est une ressemblance de plus qui le rapproche de ses maîtres, de ses parens, j’allais dire de ses compatriotes, les Grecs. Les Grecs aussi étaient doués du sens exquis des formes et de l’harmonie, bien plus que de la plénitude débordante de l’imagination créatrice ; tranchons le mot, prononçons la grande hérésie : ils étaient plus artistes que poètes.

Après ces indications, vous comprendrez facilement que j’aie consacré à la belle Hélène un acte entier de mon ballet. L’île que je lui ai assignée pour résidence n’est pas, du reste, de mon invention. Depuis long-temps elle a été découverte par les Grecs, et, au dire des auteurs de l’antiquité, selon Pausanias et Pline notamment, elle était située dans le Pont-Euxin, à peu près à l’embouchure du Danube ; le temple d’Achille qui s’y trouvait lui avait valu le nom d’Achillée. C’est là que, sortis du tombeau, résidaient le vaillant Pélide et les autres illustrations de la guerre de Troie, dont la belle Hélène était la plus brillante. L’héroïsme et la beauté, il est vrai, périssent prématurément ici-bas, à la grande joie de la vile multitude et de la médiocrité : c’est leur sort ; mais des poètes généreux les arrachent à la tombe et les transportent dans quelque île fortunée, séjour d’un printemps éternel, où ni les roses ni les cœurs ne se flétrissent.

J’ai cédé peut-être à un mouvement d’humeur en parlant, comme je l’ai fait, de la seconde partie de Faust ; en revanche, je n’ai pas de termes pour rendre ce que j’éprouve devant l’admirable conception de la belle Hélène. Ici le poète est resté fidèle à cette tradition dont il s’est écarté si souvent, — je ne cesserai de lui en faire le reproche. C’est ce pauvre diable de Méphistophélès qui a surtout à se plaindre. Le Méphistophélès de Goethe n’a absolument rien de commun avec le vrai