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Les bienséances demandaient quelque intervalle entre son ambassade et son ministère. Le saint père, dès la retraite du cardinal Antonelli, avait jugé, dit-on, déjà que tout ce qu’on devait à ces bienséances était rendu ; mais M. Rossi, soit qu’il ne fût pas du même sentiment à cet égard, soit plutôt qu’il ne crût pas son heure arrivée, avait résisté à ces premières avances. Dans les derniers jours du ministère Mamiani, les désastres de l’armée piémontaise d’une part, l’agitation de plus en plus inquiétante de la Toscane et du royaume de Naples de l’autre, enfin le danger croissant des affaires intérieures des États Romains, avaient déterminé le souverain pontife à réitérer auprès de M. Rossi ses instances et à le charger même de la formation d’un cabinet. La situation de la péninsule dans l’espace de temps qui s’était écoulé entre la retraite du cardinal Antonelli et l’époque où l’on se trouvait alors avait étrangement changé de face. De magnifique qu’un moment on l’avait vue, elle était devenue affreuse. Ce n’était pas un motif pour M. Rossi de renoncer à l’idée de servir son pays, au contraire ; mais, n’ayant pu faire agréer à sa sainteté le programme de la politique qu’il entendait suivre, il avait encore refusé le pouvoir. Un ministère provisoire avait été formé à la hâte pour remplacer M. Mamiani, décidément devenu impossible. Ce ministère, composé d’honnêtes gens, libéraux, patriotes, modérés, mais trop inférieurs à la grandeur des événemens pour penser à les conduire, n’avait fait pour ainsi dire qu’assister aux affaires du commencement d’août au milieu de septembre. Tout avait marché et tout s’était aggravé encore dans cet intervalle. Vainqueurs sur l’Adige et le Mincio, les Autrichiens, soi-disant pour assurer leurs derrières dans les opérations d’attaque qu’ils méditaient contre Venise, en réalité pour frapper les patriotes des États Romains de terreur, avaient violé encore une fois le territoire du saint-siège. Charles-Albert, après avoir capitulé à Milan, avait réclamé la médiation étrangère. Le parlement napolitain avait été prorogé le 5 septembre, et il était déjà visible que le gouvernement constitutionnel à Naples était menacé jusque dans son existence. En Toscane, l’anarchie l’emportait chaque jour de plus en plus sur la résistance de la population modérée ; encore un peu, elle allait être au comble. Quant aux États de l’Église, à Rome, le parlement avait été, le 26 août, prorogé au 15 novembre ; mais, depuis trois semaines environ qu’il ne siégeait plus, les clubs et les démagogues qui les menaient avaient pris une importance extrême et sans contre-poids. La licence de la presse, malgré les exhortations tour à tour véhémentes et paternelles du saint père, avait dépassé toutes les bornes. L’émeute était pour ainsi dire en permanence dans les rues. La faible administration intérimaire qu’avait réunie le saint-siège était sans autorité et sans armes contre les factions. L’état du trésor devenait de jour en jour