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plus incisifs et plus justes. M. Disraeli reprochait à sir Robert Peel de ne donner pour base ni à sa politique ni à la vie de son parti aucun principe élevé et permanent, de mettre sa gloire dans l’habileté des compromis et dans le succès d’expédiens temporaires, au lieu de la placer en des idées largement conçues, franchement proclamées et fidèlement pratiquées ; il lui faisait surtout un crime de passer sa vie à piller les opinions et les systèmes de ses adversaires et à renier les intérêts et les doctrines de son parti. M. Disraeli exprimait ces critiques par des mots qui restaient, par des coups de crayon qui traçaient la caricature ineffaçable de sir Robert Peel. Il avait dit, par exemple, que sir Robert avait trouvé les whigs au bain et s’était enfui avec leurs habits. À la fin de la session de 1845, il avait été prophète. Il prédit qu’entre les mains du premier ministre la cause de la protection était alors dans le même péril que celui où était en 1828 la cause du protestantisme à la veille de l’acte d’émancipation, et il appela la politique soi-disant conservatrice du gouvernement « une hypocrisie organisée. »

Pendant les mouvemens de cabinet de novembre et de décembre, M. Disraeli était à Paris, où avant la crise il se proposait de passer l’hiver. M. Disraeli avait l’honneur d’approcher le roi Louis-Philippe, pour lequel il n’a jamais caché son admiration et sa sympathie. Il put suivre de près sur l’esprit du roi le retentissement des événemens de Londres. Le roi Louis-Philippe avait d’abord été très ému de la retraite de sir Robert. Avec cette vivacité de coup d’œil qui semblait tenir en lui de l’instinct plus que de la réflexion, il vit, lord Palmerston rentrant au pouvoir, se dérouler dans l’avenir toute une perspective de guerres et de révolutions. Lord Palmerston fit parvenir à Paris des assurances qui calmèrent un peu ces craintes ; mais le roi ne fut rassuré que quand il apprit l’échec des whigs et le retour de sir Robert Peel. Il ne regarda plus alors tous les incidens qui l’avaient si fort agité que comme une tactique adroite par laquelle sir Robert Peel s’était préparé un triomphe. Il crut que la reine, le parlement et la nation s’étaient réunis pour donner carte blanche au ministre. M. Disraeli éleva respectueusement des doutes sur la justesse de cette appréciation.

Ne croyez-vous pas, lui demanda le roi, une sir Robert Peel fera passer ses mesures ?

— Oui sire.

— Eh bien ! alors ?

— Alors, sire, il sera renversé.

— Qui le renversera ? Le pouvoir a été offert à lord John Russell, qui l’a refusé. Je puis vous dire que le duc de Wellington affirme que le ministère est bien établi. Je me souviens, ajouta le roi avec un sourire de confiance, du temps où l’on disait que M. Pitt ne durerait pas six semaines, et il est resté ministre vingt ans. »

Malheureusement pour nous, M. Disraeli fut encore cette fois bon