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ne sut pas jusqu’à quel degré son consentement fut déterminé par les conseils tracés dans la dernière lettre de David Stuart, et par les caressantes insinuations de lady Margaret Fordyce, accourue auprès d’Eleanor dès qu’elle l’avait sue aux prises avec la mauvaise fortune.

Quand elle revit Godfrey, Eleanor était décidée.

— J’accepte les offres de sir Stephen, lui fit-elle, mais à une condition qui lui sera strictement imposée par vous.

— Et laquelle ?

— Il ne me parlera jamais de l’homme qui fut mon tuteur.

Cette condition surprit sir Stephen ; mais, après tout et en supposant que ses pensées s’égarassent jusque-là, que lui importait David Stuart mort ou déshonoré à jamais ? Pauvre rival à craindre dans un cœur loyal et droit comme l’était celui de sa pâle fiancée !

Le mariage s’accomplit donc.


II

Incident vulgaire, n’est-il pas vrai, qu’un mariage à contre-cœur ? Tant de jeunes filles, qui se croyaient sacrifiées, ont accepté paisiblement leur malheur et se sont faites à leur destinée ! Que de compensations d’ailleurs dans celle d’Eleanor ! Un mari jeune, riche, brave, amoureux jusqu’à l’oubli de tout calcul, une position sociale enviée par les plus riches héritières des trois royaumes, des alliances, des connexions magnifiques, et cela dans un pays où rien n’est plus compté que les privilèges du rang ! La splendeur des armoiries, l’importance hiérarchique, les attenantes de caste, ne saurait-on aimer à la longue l’homme qui vous donne tout cela, — et qui, pour vous le donner, a bravé l’opinion, la censure de ses proches, l’étonnement d’un monde habitué à tout chiffrer et à mépriser de bon cœur toute folie romanesque ?

Fort bien ; mais cet homme vous inspire une sorte d’antipathie mêlée de crainte. Sa force dont il est fier, sa volonté absolue, son mépris de la souffrance physique, autant de motifs d’éloignement. Un jour entre autres, Eleanor s’était trouvée à cheval, seule avec son prétendu, sur les bords de la Linn, à l’endroit même où, pour la première fois, elle avait cru que le secret de son amour allait se révéler à David Stuart, et pas bien loin de celui où elle s’était dit que son corps reposait peut-être, arrêté sous quelque rocher de la rive. Mille sombres présages, mille pensers déchirans, mille poignans remords l’assaillirent à la fois… Elle cessa de répondre à sir Stephen, qui continua de lui parler sans s’apercevoir de rien, jusqu’au moment où Eleanor sentit le vertige la saisir et où elle arrêta brusquement son cheval.