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est incontestablement romain, et dont le bon état de conservation, après quatorze siècles, exclut toute idée d’un bivouac barbare disposé à la hâte. Attila, trouvant des fortifications à sa portée, en aurait-il profité comme d’une bonne fortune ? Se serait-il servi de l’enceinte romaine pour affermir l’assiette de son camp ? On peut le supposer avec vraisemblance, et cette supposition met d’accord, sans grands frais d’hypothèse, la tradition locale et le bon sens. Une fois décidé à combattre, Attila fit ranger ses chariots en cercle et dressa ses tentes à l’intérieur. Le jour même, l’armée d’Aëtius campait en face de lui, les légions suivant les règles de la castramétation romaine, les fédérés barbares sans retranchement ni palissades, et chaque nation séparément.

Attila passa toute cette nuit dans une agitation inexprimable. Le mauvais état de son armée découragée, affaiblie par les privations et considérablement réduite en hommes et en chevaux, ne lui faisait que trop pressentir la probabilité d’une défaite, et cette probabilité n’échappait guère non plus à des yeux moins clairvoyans que les siens. Ses soldats avaient pris dans les bois voisins un ermite qui faisait parmi les paysans le métier de prophète. Attila eut la fantaisie de l’interroger. « Tu es le fléau de Dieu, lui dit le solitaire, et le maillet avec lequel la Providence céleste frappe sur le monde ; mais Dieu brise, quand il lui plaît, les instrumens de sa vengeance, et il fait passer le glaive d’une main à l’autre, suivant ses desseins. Sache donc que tu seras vaincu dans ta bataille contre les Romains, afin que tu reconnaisses bien que ta force ne vient pas de la terre. » Cette réponse courageuse n’irrita point le roi des Huns. Après avoir entendu le prophète chrétien, il voulut entendre à leur tour les devins de son armée, car chez les Huns, comme plus tard chez les Mongols, les consultations sur l’avenir, dans les circonstances décisives, semblent avoir été d’institution publique. Il fit donc venir les magiciens et, comme dit l’historien de cette guerre, les aruspices qui suivaient ses troupes, et alors commença une scène étrange, effroyable, dont l’histoire, en esquissant les principaux traits, laisse à l’imagination le soin de les compléter.

Qu’on se figure, sous une tente tartare plantée au milieu des plaines de la Champagne, à la lueur lugubre des torches, un concile de toutes les superstitions du nord de l’Europe et de l’Asie : le sacrificateur ostrogoth ou ruge les mains plongées dans les entrailles d’une victime dont il observe les palpitations, le prêtre alain secouant dans un drap blanc ses baguettes divinatoires à l’entrelacement desquelles il voit des signes prophétiques, le sorcier des Huns blancs évoquant les esprits des morts au son du tambour magique et tournant sur lui-même avec la rapidité d’une roue jusqu’à ce qu’il tombe épuisé, la bouche écumante, dans l’immobilité de la catalepsie, et au fond de la tente Attila, assis sur son escabeau, épiant les convulsions, recueillant les moindres