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enfin il prétend reprendre, pour principe d’une réorganisation définitive des provinces, le système des ordres et des castes, qui est le fondement des anciens états. Il n’en coûterait pas plus d’appliquer ce système à tout l’édifice social, et de revenir pas à pas à la célèbre constitution gothique de 1847. Tel est le vœu hautement exprimé de tout un parti qui gêne quelquefois le pouvoir sans pourtant lui déplaire. M. de Gerlach et M. Stahl, qui sont les écrivains et les orateurs de ce parti, n’ont rien négligé dans les récens débats parlementaires pour pousser en ce sens les esprits. Ils n’ont épargné aucun des argumens à l’usage de l’école historique pour démontrer que les institutions actuelles de la Prusse sont une inspiration révolutionnaire, et que ce pays qui a pris si promptement et si sagement l’habitude des libertés modernes est perdu sans retour, s’il ne se hâte de se replacer sous l’empire des traditions féodales. « Quand tous les avocats du diable plaideraient cette cause, leur a répliqué le respectable M. de Brünneck, ils ne réussiraient point à me convaincre. » M. de Camphausen a parlé de son côté avec une logique nette et précise en faveur de l’état moderne, de l’unité des droits, de la centralisation administrative, de la bourgeoisie, qui est, suivant lui, la base la plus forte et la plus sûre, non-seulement pour la société, mais pour la royauté et la dynastie. L’ancien envoyé de Prusse aux États-Unis, M. de Roenne, a soutenu avec élévation la même doctrine. « L’opinion contraire, a-t-il ajouté, pourra obtenir la majorité ; mais avec nous sera l’autorité, l’autorité du droit, de la raison et de la vérité. »

C’est ainsi que la lutte s’est engagée entre les deux grands partis qui se partagent aujourd’hui l’opinion en Prusse. Le gouvernement s’est étudié dans cette discussion à encourager les représentans de l’école historique. À en croire le ministre de l’intérieur, M. de Westphalen, l’histoire de la France depuis deux générations proteste contre la vitalité du système constitutionnel. « En l’absence d’états provinciaux indépendans, il n’y a de possible que la révolution et le socialisme, à la suite de quoi surgit le régime du sabre. » Le président du conseil, M. de Manteuffel, ne s’est point montré plus rassurant que son collègue. Esprit positif et précis, il ne doit pas avoir une confiance aussi entière que M. de Westphalen dans les théories des savans orateurs de l’extrême droite. En revanche, il n’a peut-être point la même horreur pour le régime du sabre. Aussi M. de Manteuffel s’est-il plu à signifier au parlement qu’il n’est point au pouvoir en vertu d’une décision ou d’un vote de la majorité, mais en vertu d’un ordre du roi, et qu’il est disposé à y rester aussi long-temps que le roi le commandera. L’on conçoit, par cette attitude du ministère prussien, combien la tâche du parti parlementaire est laborieuse et délicate. Le principe des ordres, qui tend ainsi à rentrer par toutes les issues dans les institutions du pays, est la négation implicite de la constitution de 1850.

La profonde émotion suscitée par l’attentat dont Isabelle II a failli être victime est mal apaisée encore à Madrid et dans le reste de l’Espagne, bien que la reine soit entièrement rétablie, et ait même pu déjà sortir. Cette émotion, nous le disions l’autre jour, a été ressentie en Europe, et ce n’est point un des moindres symptômes de notre temps que cette solidarité dans certains sentimens, qui se manifeste parfois, sous le coup de semblables tentatives, comme elle s’est manifestée récemment ici même, à Paris, dans une solennité religieuse d’actions de graces due à une heureuse inspiration du ministre d’Espagne.