Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/992

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez les écrivains qui ont suivi et qui aspirent à remplacer la brillante génération littéraire d’il y a vingt-cinq ans, c’est qu’ils sont à la fois sérieux d’intention, et de fait irréfléchis et juvéniles ; c’est qu’ils affichent l’ambition louable de ramener l’art dans des voies plus sages, et qu’ils apportent à cette tâche une étourderie qui la rend stérile. Ils semblent toujours prêts à donner une leçon à leurs prédécesseurs, qui n’ont, hélas ! que trop mérité d’en recevoir, et en définitive il se trouve que la leçon avorte, ou qu’elle se retourne contre eux-mêmes : ils exécutent en enfans ce qu’ils avaient conçu en pédagogues.

À quoi attribuer le mécompte que vient de subir M. Émile Augier et le succès douteux de ce drame de Diane, entouré prématurément de louanges hyperboliques ? A l’irréflexion. M. Augier a rencontré un sujet heureux ; il a ébauché un caractère intéressant, il a même entrevu çà et là et indiqué certaines intentions à l’aide desquelles son sujet et son personnage auraient pu prendre corps et s’emparer vivement du spectateur. Par malheur, il ne s’est pas donné le temps de mûrir et de combiner les élémens divers dont il avait à se servir ; il a négligé ou dédaigné une fois encore ce travail d’assimilation dont l’absence s’est trop souvent fait sentir dans la composition et le style de ses ouvrages dramatiques.

Faut-il commencer, comme on l’a fait, par reprocher à l’auteur de Diane le choix d’une époque et d’une donnée qui devaient nécessairement le mettre en présence de M. Hugo ? faut-il rappeler à tous le souvenir de Marion Delorme ? Nous ne le croyons pas. Sans vouloir réveiller ici des querelles d’école, discuter le mérite du drame de 1831, et recommencer contre M. Hugo une guerre qui manquerait aujourd’hui de générosité et d’à-propos, il suffit de constater dans Marion trois points principaux, qui sont, à proprement parler, toute la pièce : la courtisane réhabilitée, le roi avili, le cardinal de Richelieu peint du côté odieux et sanguinaire. Ces trois points une fois écartés par M. Augier, il est incontestable qu’en nous présentant dans le même cadre une jeune fille chaste et pure, un Louis XIII relevé et ennobli par une idée d’abnégation et de sacrifice, un Richelieu homme de génie et voué au salut de la France, le nouveau poète avait le droit de se croire à l’abri de tout reproche de plagiat et de pastiche. Qu’importaient dès-lors les conversations entre raffinés, le duel, les édits du cardinal, la cachette dans les murs, toute cette portion extérieure, presque matérielle, du drame, qu’on retrouverait au besoin chez le machiniste ou le costumier ? Nous conviendrons très volontiers que, dans ces détails accessoires, la supériorité de M. Hugo est immense, que ses scènes de couleur locale ont mille fois plus de mouvement et d’ampleur là n’est pas la question : si M. Augier eût réussi à dégager bien nettement sa pensée, il n’en fallait pas davantage ; la victoire était gagnée, le poète était absous. Ce qu’il faut donc blâmer en lui, ce n’est pas d’avoir imité M. Hugo, c’est de n’avoir pas su faire assez bien ressortir ce qui l’eût distingué de lui.

Diane, l’héroïne de M. Augier, est une jeune fille d’une trempe peu commune ; elle est née, elle a grandi au milieu de ces troubles qui signalèrent les commencemens du grand siècle, et qui renfermaient déjà les pressentimens de sa grandeur, comme ces orages qui fécondent la terre en la déchirant. Diane est calviniste ; elle a eu sa part des persécutions et des misères de son temps, et cependant l’image sacrée de la patrie domine pour elle les rancunes de secte et de parti : qu’une main habile guérisse les plaies de la France, et elle bénira