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à montrer, pour l’édification universelle, l’inutilité ou le danger. Ce danger que n’ont point aperçu Bossuet et Fénelon, que n’aperçoit point encore aujourd’hui M. l’évêque d’Orléans, faut-il y croire sur la foi des docteurs nouveaux ? Qu’on le remarque d’ailleurs : de la littérature antique à la littérature de tous les temps, il n’y a pas loin ; ce qu’on poursuit en réalité, ce sont les lettres tout entières, — les lettres modernes comme les lettres anciennes ; c’est tout ce que l’esprit enfante, tout ce que l’intelligence produit, tout ce que l’imagination crée. Le moment est bien choisi pour faire la théorie des peuples qui ne doivent pas penser, et voilà beaucoup d’éloquence employée à renouveler à un autre point de vue le paradoxe de Rousseau ! Sans doute la littérature a commis des excès ; elle les expie tristement. C’est un motif de plus pour travailler à relever l’intelligence, à ranimer le goût, à réhabiliter les notions justes de l’art et à rajeunir l’inspiration défaillante. Si l’esprit littéraire est puissant pour le mal, ne l’est-il pas également pour le bien ?

Mais où donc est aujourd’hui la littérature ? Elle était du moins l’autre jour à l’Académie, à la réception de M. Alfred de Musset, en attendant qu’elle soit ailleurs. Un attrait purement littéraire avait suffi pour amener un public nombreux. L’auteur de Rolla à l’Académie ! n’est-ce point là le signe de l’évanouissement d’un monde, d’une transformation de l’atmosphère, du changement total d’une époque ? Ce changement, tout l’indique, tout le caractérise, — et ceux qui viennent et ceux qui s’en vont. Voici, à peu de distance, trois hommes d’une nature bien différente, M. de Feletz, M. Droz et M. Dupaty, qui pouvaient compter comme des représentans du passé en littérature, et qui disparaissent l’un après l’autre de l’Académie. La circonstance la moins bizarre, à coup sûr, n’est point celle qui a amené M. Alfred de Musset à faire l’éloge de M. Dupaty, auquel il succédait. Au milieu de tous ces signes des transformations contemporaines, l’auteur du Caprice nous apparaissait comme l’image blonde et fière des jeunes années. Sa seule présence réveillait le souvenir de tous ces poèmes d’une inspiration rare et toujours vivans, — l’Espoir en Dieu, la Nuit de mai, la Nuit d’août, les Stances à la Malibran. — Mardoche, le héros des Contes d’Espagne et d’Italie, pouvait bien grimacer dans quelque coin de la salle ; mais après tout n’était-il point amusant encore ? Un des plus spirituels passages du discours de M. Alfred de Musset au reste, c’est celui où il conciliait son passé, parfois quelque peu turbulent, avec sa présence à l’Académie ; et ce qui est mieux, c’est que le nouvel élu a su être juste et élogieux pour M. Dupaty sans le grandir outre mesure. Il n’est point facile, sans doute, de faire de l’esthétique au sujet des Voitures versées, l’une des œuvres capitales de l’académicien qui n’est plus, et cependant M. Alfred de Musset a réussi à en tirer l’occasion des plus délicates et des plus remarquables vues sur l’art dramatique, sur ce mélange de musique et de paroles qui compose l’opéra-comique. M. Nisard, chargé de recevoir M. Alfred de Musset, lui a un peu longuement rappelé peut-être qu’il avait été jeune, qu’il avait été l’enfant du siècle, et que Boileau était un poète d’un bon et salutaire exemple ; nous avons vu l’instant où il érigeait les doctrines de l’Art poétique en dogme social. Ce n’est là d’ailleurs que la moindre partie d’un discours remarquable et visiblement empreint de sympathie, où M. Nisard a trouvé plus d’un trait ingénieux et neuf pour caractériser le talent de l’académicien nouveau. En assistant à cette séance, une question nous venait