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Tallemant[1] : « Mme de Rambouillet étoit admirable ; elle étoit bonne, douce, bienfaisante et accueillante, et elle avoit l’esprit droit et juste. C’est elle qui a corrigé les méchantes coutumes qu’il y avoit avant elle. Elle s’étoit formé l’esprit dans la lecture des bons livres italiens et espagnols, et elle a enseigné la politesse à tous ceux de son temps qui l’ont fréquentée. Les princes la voyoient, quoiqu’elle ne fit point duchesse. Elle étoit aussi bonne amie, et elle obligeoit tout le monde. Le cardinal de Richelieu avoit pour elle beaucoup de considération… Mme de La Fayette a beaucoup appris d’elle. » Une de ses filles, la célèbre Julie, avait l’esprit le plus rare, et, à défaut d’une grande beauté, une assez belle taille et un fort grand air. Elle s’entendait merveilleusement à rendre agréable la maison de sa mère, et elle était fort bien secondée par son frère, le marquis de Pisani, aussi spirituel que brave, par ses nombreuses soeurs, surtout par celle qui a été la première Mme de Grignan[2].

On peut voir partout la description de l’hôtel de Rambouillet et de cette fameuse chambre bleue, qui était en quelque sorte le sanctuaire du temple de la déesse d’Athènes, pour parler comme Mademoiselle dans la Princesse de Paphlagonie[3]. C’était un grand salon qui avait tout son ameublement de velours bleu rehaussé d’or et d’argent, et dont les larges fenêtres, s’ouvrant dans toute la hauteur, depuis le plafond jusqu’au plancher, laissaient entrer abondamment l’air et la lumière et donnaient la vue d’un jardin très beau et très bien entretenu, qu’agrandissait à perle de vue le voisinage d’autres jardins. L’hôtel avait été bâti sur un plan nouveau, tracé par Mme de Rambouillet elle-même. Il n’était pas très vaste, mais d’une belle apparence. C’était l’avant-dernier hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, du côte de la place du palais Cardinal, entre les Quinze-Vingts, qui occupaient le coin de la rue, et l’hôtel de Chevreuse, devenu depuis l’hôtel d’Épernon et un peu plus dard, vers 1663 ou 1664, l’hôtel de Longueville[4].

  1. Œuvres de Segrais, Amsterdam, 1723, t. Ier. Mémoires anecdotes, p. 29.
  2. Sur Mlle de Rambouillet, Pisani et ses sœurs, voyez Tallemant, t. II, p. 207-262.
  3. Édition de 1659, p. 118-121.
  4. Voyez Sauval, Antiquités de Paris, t. III, p. 200, et le plan de Paris de Turgot. Ces hôtels, ou plutôt leurs débris, viennent de disparaître avec la rue Saint-Thomas-du-Louvre tout entière, au profit de la place du Carrousel. Puisse cette admirable place conserver sa grandeur si chèrement achetée, et nul bâtiment transversal ne pas venir gâter la belle harmonie du Louvre et des Tuileries ! Puisse aussi quelque homme instruit et laborieux, voué à l’étude de Paris et de ses monumens, ne pas laisser périr la rue Saint-Thomas-du-Louvre sans en donner une description et une histoire fidèle à l’époque de son plus grand éclat !