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un ton et des mouvemens tragiques qui lui échappaient malgré lui, Voiture, dans les choses les plus sérieuses, prodiguait la plaisanterie. Il est le côté enjoué de l’hôtel de Rambouillet, comme Corneille en est le côté sévère.

N’oublions pas que Voiture n’a presque rien écrit que par occasion, que la circonstance était sa muse favorite, et qu’elle lui dicta la plupart de ces petites pièces, improvisées ou faites à la hâte, qu’il n’a pas même pris la peine de recueillir. Il est donc ridicule d’y remarquer beaucoup de négligences. C’étaient, en très grande partie, des chansons qui devaient être véritablement chantées, et qui l’ont été. L’éditeur a quelquefois indiqué les airs, et nous les avons retrouvés presque tous dans un recueil curieux de la bibliothèque de l’Arsenal, intitulé Chansons notées.

Mais Voiture n’a pas seulement une facilité pleine d’agrément ; il me semble que, dans ses pièces un peu plus étudiées, il a des idées, de la philosophie, de la sensibilité, quelquefois même de la passion. J’ai besoin, je le sens, de me mettre bien vite à couvert derrière l’autorité de Boileau, qui, dans sa lettre à Perrault[1] fait l’éloge de Voiture et particulièrement de ses élégies. Pour ma part, je les préfère à toutes celles qui ont paru avant 1648, année de la mort de Voiture et de la fin ou du moins de la décadence de l’hôtel de Rambouillet, bien entendu en exceptant les élégies de Corneille, aujourd’hui trop oubliées, et dont quelques-unes ont des passages qui le peuvent disputer aux plus touchans de ses tragédies[2]. Je prie qu’on veuille bien lire l’élégie</poem>

  1. Édit. de Saint-Surin, t. IV, p. 375.
  2. Voyez, dans les Œuvres diverses de Corneille, l’élégie qui contient une déclaration d’amour : elle n’est pas datée, mais elle doit être de la jeunesse de Corneille, et même antérieure à sa gloire, car il n’en parle point, tandis que plus tard il le prend sur un autre ton. La dame à laquelle cette élégie est adressée devait être de bonne naissance, si on en croit le jeune poète. Il peint à merveille le passage de l’admiration à l’amour :

    Mais de ce sentiment la flatteuse imposture
    N’empêcha pas le mal pour cacher la blessure,,
    Et ce soin d’admirer, qui dure plus d’un jour,
    S’il n’est amour déjà, devient bientôt amour.
    Un je ne sais quel trouble où je me vis réduire
    De cette vérité sut assez tôt m’instruire :
    Par d’inquiets transports me sentant émouvoir,
    J’en connus le sujet quand j’osai vous revoir.

    Un désordre confus m’expliqua mon martyre
    Je voulus vous parler, mais je ne sus que dire.
    Je rougis, je pâlis, et d’un tacite aveu
    Si je n’aime point, dis-je, hélas ! qu’il s’en faut peu ! etc.

    La pièce intitulée Jalousie, et qui n’est pas achevée, a des parties qui semblent écrites de la main de Molière :

    Le plus léger chagrin d’une humeur inégale,
    Le moindre égarement d’un mauvais intervalle,
    Un souris par mégarde à ses yeux dérobé,
    Un coup d’œil par hasard sur un autre tombé.

    Tout cela fait pour lui de grands crimes d’état,
    Et plus l’amour est fort, plus il est délicat.

    Corneille, sur le retour, éprouva un sentiment tendre pour la marquise de B.A.T. (nous ignorons le nom de la personne cachée sous ces initiales). Alors il parle de lui-même tout autrement que dans sa jeunesse, et il fait les honneurs de sa gloire au profit de son amour.

    Je connois mes défauts, mais après tout je pense
    Être pour vous encore un captif d’importance ;
    Car vous aimez la gloire, et vous savez qu’un roi
    Ne vous en peut jamais assurer tant que moi, etc.

    Corneille dit adieu à celle dont il désespère de se faire aimer ; il la cède à de plus jeunes rivaux :

    Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même :
    Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu’il m’aime,
    Et m’aime d’autant plus que son cœur enflammé
    N’ose même aspirer au bonheur d’être aimé.
    Je fais tous ses plaisirs, j’ai toutes ses pensées,
    Sans que le moindre espoir les ait intéressées.
    Puissé-je malgré vous y penser un peu moins,
    M’échapper quelques jours vers quelques autres soins,
    Trouver quelques plaisirs ailleurs qu’en votre idée,
    Et voir toute mon ame un peu moins obsédée !
    Et vous, de qui je n’ose attendre jamais rien,
    Ne ressentir jamais un mal pareil au mien !

    Je ne veux pas citer, mais j’indique les stances adressées à la même personne et qui expriment les mêmes sentimens dans un mètre différent : <poem>Marquise, si mon visage A quelques traits un peu vieux, etc.