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pu s’empêcher de louer, ces fontaines, ces cascades, ces grottes, ces pavillons, « ces superbes allées, ces jets d’eau qui ne se taisoient ni jour ni nuit[1]. » Ils se taisent aujourd’hui. Le mauvais goût du XVIIIe siècle et les révolutions ont dégradé Chantilly. Un prince digne de son nom avait entrepris de le rendre à sa beauté première. Il y voulait mettre toute la fortune que les manieurs de la maison de Condé lui avaient apportée, et celle qu’il tenait de sa propre maison. Le jeune capitaine avait rêvé de revenir un jour, après avoir étendu et assuré la domination française en Afrique, se reposer avec ses lieutenans dans la demeure sacrée des Montmorency et des Condé, restaurée et embellie de ses mains. La Providence en a disposé autrement, et Chantilly attend encore une main réparatrice. Mais revenons au Chantilly du milieu du XVIIe siècle, avant l’époque de sa plus grande magnificence, entre la description de Du Cerceau et celle de Perelle.

C’était déjà un délicieux séjour. Mme la Princesse s’y plaisait beaucoup, et y passait avec ses enfans presque tous les étés. Elle emmenait avec elle une petite cour composée des amis de son fils et des amies de sa fille, avec quelques beaux esprits, et particulièrement Voiture, dont on ne se pouvait passer. À défaut de Voiture, on avait sa monnaie, Montreuil ou Sarrazin, attachés à la maison de Condé, et qui furent successivement les secrétaires du prince de Conti et de Mme de Longueville. Ils avaient l’esprit fin et agréable, et Boileau, dans sa lettre à Perrault, nomme Sarrazin après Voiture. M. le Prince, peu sensible aux douceurs de la campagne, restait ordinairement à Paris pour suivre ses desseins et sa fortune. Mme la Princesse ne haïssait pas les divertissemens, et la jeunesse s’y livrait avec ardeur. On faisait la cour aux dames. Pendant la chaleur du jour, on s’amusait à lire des romans ou des poésies ; le soir, on faisait de longues promenades avec de longues conversations. On vivait à la manière de l’Astrée, en attendant les aventures du grand Cyrus. Même en 1650, après la mort de son mari, pendant la captivité de ses deux fils et de son gendre, et l’exil de sa fille, les troubles de la guerre civile et le bruit des armes, Lenet nous raconte comment la princesse de Condé passait le temps à Chantilly[2]. « Les promenades étoient les plus agréables du monde… Les soirées n’étoient pas moins divertissantes… On se retiroit dans l’appartement de la princesse, où l’on jouait à divers jeux. Il y avoit souvent de belles voix, et surtout des conversations agréables et des récits d’intrigues de cour ou de galanterie, qui faisoient passer la vie avec autant de douceur qu’il étoit possible… Ces divertissemens étoient

  1. Bossuet, oraison funèbre du grand Condé.
  2. Édition Michaud, p. 229.