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la Tulipani semblait redoubler d’amour pour le faux, le tortueux et l’exagéré.

Je menais avec la Cornélia une vie lourde, irritante et embrasée comme un orage, quand je rencontrai tout à coup chez elle l’instrument de mon salut. Nous étions alors aux approches de cette révolution qui a fait apparaître en même temps dans toute l’Europe ses signes bizarres, sinistres et inattendus. Le sang lombard se remuait dans les veines de Milan. Si j’avais à me battre en Italie maintenant, j’aimerais me trouver sous les ordres de Radetzky, car les patriotes italiens m’ont singulièrement dégoûté de leur cause ; mais dans ce temps-là, au lieu d’une œuvre révolutionnaire, je voyais, comme disaient certains, une œuvre nationale dans l’entreprise des Milanais contre les Autrichiens, et j’aurais volontiers brûlé quelques cartouches pour la liberté de la Lombardie. J’étais dans cet état d’esprit, quand il nous arriva de Turin le plus célèbre représentant démocrate de la petite chambre qui a bouleversé, à l’instar de notre pays, ce pauvre pays de Savoie. Maître Bolino était un avocat qui avait écrit en italien une biographie de Robespierre, et qui accusait tous les jours Charles-Albert d’être assez lâche, assez félon, assez corrompu, pour préférer son trône à un échafaud. Aux jours où gronda le canon de Novarre, maître Bolino, bien entendu, resta parmi ses paperasses ; mais de la tribune il faisait une terrible guerre à l’Autriche. C’était là qu’il enlevait des drapeaux, enfonçait des carrés, prenait des redoutes. Si la parole avait la puissance du canon, comme cela s’imprime souvent, Bolino aurait depuis longtemps anéanti le dernier des Autrichiens. Aussi son nom était-il populaire dans toute l’Italie, et, quand il vint à Milan, la jeunesse de la ville alla chanter des hymnes patriotiques sous le balcon de son hôtel. La Tulipani ne voulut pas, comme on se l’imagine, manquer l’occasion de voir un si intéressant personnage. J’aperçus donc un soir chez elle Bolino, que Mazzetto venait de lui amener triomphalement. Les républicains, comme on sait, sont toujours divisés en deux classes, les Spartiates et les Athéniens. Bolino était de ces derniers. C’était un grand et gros garçon qui avait un extérieur de dentiste. Il se connaissait en vin et aimait les arts. Il me déplut souverainement d’abord, puis je lui trouvai une sorte d’aplomb naïf qui m’amusa. Il buvait bien ; je l’imitai. J’ai, comme vous savez, le vin expansif et cordial. En sortant du souper, j’étais lancé comme un chasseur qui rentre après l’appel. Mon avocat était maître de lui.

Il me proposa de sortir ; j’acceptai. Quand nous fûmes dans la rue : « Si nous allions, me dit-il avec un ton où l’enthousiasme du patriote essayait de s’adjoindre l’étourderie du mousquetaire, chercher querelle à quelques officiers autrichiens ! Cela serait d’un bon effet. C’est toujours par ces escarmouches que les grandes luttes commencent ;