Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit d’une brebis, juste ce que je cherchais, car il faut au gars une brave créature qui aura du cœur dans les bras, et non pas une demoiselle…

La jeune fille fit un mouvement qu’il aperçut dans l’ombre.

— Je ne dis pas ça pour vous, la Renée, ajouta-t-il avec un peu d’embarras.

— Votre fils sait-il vos intentions ? demanda-t-elle sans lever la tête.

— Pas encore, répondit le passeur ; j’ai voulu d’abord vous en parler, parce que, selon votre volonté, vous pouvez me rendre triste ou content.

Renée voulut l’interrompre.

— Oh ! ne me dites pas le contraire, ajouta-t-il en lui prenant la main ; voyons, ma pauvre fille, parlons le cœur grand ouvert, et pensons que le bon Dieu nous écoute. Si le gars est malheureux de partir, c’est rapport à vous ; s’il n’a plus de goût au travail, c’est qu’il ne s’occupe que de vous. Rien ne lui fait, rien ne lui dit, si ce n’est de votre part. Vous l’avez ensorcelé !… en tout honneur, je le sais, ma fille ; mais n’essayez pas de menteries avec un voisin et un ancien ami, avouez ce que vous avez dans la pensée.

— Faites excuse, maître Robert, balbutia Renée avec une fierté très émue : ce que j’ai dans la pensée ne doit être avoué qu’au prêtre qui me confesse ; mais je puis vous jurer par toutes les choses saintes qu’il n’a jamais été question de rien de ce que vous dites entre votre fils et moi.

— Ainsi il ne vous a point parlé de son amitié, et vous ne lui avez fait aucune promesse ?

— Jamais.

Le passeur lui saisit la main. — Alors engagez-moi votre foi que vous ne l’écouterez ni ne lui répondrez dans l’avenir, s’écria-t-il ; c’est une grace que je vous demande, la Renée. Ne croyez pas que ce soit par mépris pour vous ou par mauvaiseté. Aussi vrai qu’il y a un Dieu dans le ciel, je ne vous veux que du bien ; mais c’est pour ça même que je vous demande de ne pas donner d’espérances à Urbain. Il y a dans mon esprit un empêchement… Puis, ni les états, ni les fortunes ne sont pour aller ensemble. Tôt ou tard, mes pauvres gens, vous le verriez tous deux ; faut pas coudre le berlinge et la soie au même habit. La filleule de maître Richard a trop de mignonnerie pour devenir la femme d’un pauvre passeur de rivière. De meilleurs gars qu’Urbain seront fiers de lui donner l’anneau d’argent.

— C’est à savoir si leurs pères auront moins de fierté que maître Robert, reprit le jeune fille, dans la voix de laquelle tremblaient des larmes, bien qu’elle s’efforçât de sourire ; mais alors, comme à cette