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partie de ses eaux dans un large fossé circulaire, garantissait de toutes parts la haute muraille flanquée de tours et l’enveloppait comme d’une ceinture. Aquilée n’avait pas moins d’importance comme place de commerce que comme place de guerre ; ses habitans, tour à tour soldats, trafiquans et marins, concentraient dans leurs murs, depuis cinq cents ans, l’échange des exportations de l’Italie avec les importations de l’Illyrie, de la Pannonie et des pays barbares d’outre Danube : celui du vin, du blé, de l’huile et des objets fabriqués contre des esclaves, du bétail et des pelleteries. Son port, situé quatre lieues plus bas, à l’embouchure du fleuve, passait pour un des meilleurs de l’Adriatique ; du moins était-il, en temps ordinaire, le mieux gardé, car il servait de station à la flotte chargée de protéger cette mer et de réprimer la piraterie. Qu’était devenue cette flotte en 452 ? Avait-elle déjà péri dans la dissolution chaque jour croissante des forces romaines ? L’empereur, au contraire, l’avait-il rappelée pour la joindre à la flotte de Ravenne et couvrir plus sûrement le domicile des Césars ? On l’ignore ; mais elle ne joue aucun rôle dans les opérations de la guerre que nous racontons. Si forte en même temps par la nature et par l’art, Aquilée était considérée comme imprenable, lorsqu’elle voulait bien se défendre. Alaric avait échoué devant elle, et de mémoire d’homme on ne pouvait citer à son déshonneur qu’une surprise qui la fit tomber, en 361, au pouvoir des soldats de Julien. Aquilée, à cette époque, s’étant déclarée pour l’empereur Constance, une division de l’armée de Julien dut en faire le siège ; mais la ville résista vaillamment. À bout de science et de courage, les assiégeans eurent recours à un stratagème resté fameux dans l’histoire de la poliorcétique : ayant amarré ensemble trois grands navires qu’ils recouvrirent d’un plancher, ils construisirent dessus trois tours de la hauteur du rempart et munies de crampons de fer et de ponts-levis, puis ils lancèrent la machine flottante, à la dérive, sur le fleuve. Quand elle eut atteint le flanc de la muraille, les soldats qui la montaient jetèrent les crocs, baissèrent les ponts, et, se précipitant dans la ville, en ouvrirent les portes à coups de hache.

Si le roi des Huns comptait dans son armée des soldats assez hardis pour exécuter un pareil coup de main, il n’avait pas d’ingénieurs capables de le préparer ; en tout cas, il n’y songea point, mais il employa contre Aquilée les moyens ordinaires des sièges, les sapes, les béliers, les escalades, les mines, le tout sans nul succès. Bien secondée par les habitans, la garnison faisait face à tout, et une place qui avait résiste aux attaques méthodiques des légionnaires de Julien se riait de l’impéritie des Huns. Chaque jour, venait de la part d’Attila quelque tentative nouvelle que l’audace ou la ruse des assiégés changeait en désastre pour lui. Le jeu des machines, les sorties, les alertes nocturnes