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ne devaient pas rencontrer de leur part la même docilité que de la part des femmes de l’Asie, presque réduites à l’esclavage. Quoi qu’il en soit, cette seconde donnée de la tradition ne doit pas être négligée : elle jette un trait lumineux sur les mystères de ces noces sanglantes.

La rare beauté d’Ildico avait été au cœur d’Attila, et pendant les fêtes du mariage, nous dit Jornandès, le roi des Huns se livra à une joie extrême. La coupe de bois où versait l’échanson royal se remplit et se vida plus que de coutume, et lorsque, de la salle du festin, Attila passa dans la chambre nuptiale, sa tête, suivant l’expression du même historien, était chargée de vin et de sommeil. Le lendemain matin, on ne le vit point paraître, et une grande partie du jour s’écoula sans qu’aucun bruit, aucun mouvement se fît dans sa chambre, dont les portes restaient fermées en dedans. Les officiers du palais commencèrent à s’inquiéter : ils appellent, rien ne répond à leur voix ; brisant alors les portes, ils aperçoivent Attila étendu sur sa couche, au milieu d’une mare de sang, et sa jeune épouse assise près du lit, la tête baissée et baignée de larmes sous son long voile. Un cri terrible, poussé par tous ces hommes à la fois, fait aussitôt retentir le palais ; saisis d’une douleur furieuse et comme frénétiques, les uns coupent leur chevelure en signe de deuil, les autres se creusent le visage avec la pointe de leurs poignards, car, dit l’écrivain que nous avons déjà cité, « ce n’étaient pas des larmes de femme, mais du sang d’homme, qu’il fallait pour pleurer une telle mort. » De l’enceinte du palais, la nouvelle se répandit avec la rapidité de l’éclair dans la bourgade royale, puis dans tout l’empire des Huns, et la nation entière, des bords du Danube aux monts Ourals, fut bientôt en proie à tous les transports d’un regret inexprimable.

Que s’était-il passé durant cette fatale nuit ? Les bruits qui circulèrent là-dessus hors du palais furent divers et contradictoires ; mais le soin même que mirent les chefs des Huns à prouver que la mort de leur roi avait été naturelle accrédita une version plus sinistre. On prétendit qu’Ildico avait frappé d’un coup de couteau son mari endormi ; quelques-uns ajoutèrent qu’un écuyer du roi l’avait aidée dans la perpétration de son crime, et que l’attentat avait été commis à l’instigation d’Aëtius. Les documens latins qui nous fournissent cette dernière indication donnent lieu de supposer un complot domestique du genre de celui qu’avait tramé quatre ans auparavant le premier ministre de Théodose, mais plus perfide et mieux ourdi. La tradition germanique attribue pour unique mobile à la jeune femme le sentiment de la vengeance et une profonde haine pour l’homme qui, après avoir tué et dépouillé sa famille, venait abuser de sa beauté. La version convenue parmi les Huns, version destinée sans doute à prévenir des accusations,