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chambres. Il y a deux jours, c’est aux Tuileries que se réunissaient officiellement les divers corps publics créés par la constitution nouvelle, — sénat, conseil d’état, corps législatif, — et que M. le président de la république inaugurait la session actuelle par un discours dont le premier mot est : « La dictature cesse d’exister aujourd’hui. » Le discours du président de la république est le résumé politique de la situation présente, des motifs qui lui ont inspiré l’acte du 2 décembre, du sens qu’il attache aux institutions fondées par lui, de la direction qu’il se propose de suivre dans le maniement des affaires du pays. La paix au dehors, le travail au dedans, le développement normal de l’activité nationale partout, — c’est un beau programme ; plus d’un gouvernement en a fait son symbole ! Le difficile est dans l’application, dans la combinaison juste et pratique de tous les intérêts, de tous les besoins, de toutes les tendances légitimes. M. le président de la république lui-même n’hésitait point l’autre jour à appeler l’attention publique sur cet « exercice trop absolu du pouvoir » qui a été l’écueil de l’empereur Napoléon, et a fait du régime parlementaire en 1815 un refuge et un bienfait. Un des traits principaux du caractère du prince Louis-Napoléon, et qui trouve une expression nouvelle dans son discours, c’est cette invariable confiance de qui est dès long-temps fixé sur ce qu’il veut. Dans un temps de volontés flottantes, on ne se rend pas compte de ce que peut cette fixité de volonté et de but. C’est le plus grand secret des événemens politiques. La France n’appartient si souvent à ceux qui veulent que parce qu’elle ne veut pas assez par elle-même ou ne sait que vouloir. Elle a des instincts plutôt que des volontés. Autrefois, sous la monarchie constitutionnelle, le discours royal était un thème que les chambres commentaient, qu’elles contredisaient parfois. Voici encore une différence avec le passé : le corps législatif aujourd’hui n’a point à répondre au discours du président de la république ; il entre dès l’abord dans l’ordre régulier et pratique de ses travaux, en même temps que dans la possession des prérogatives que la constitution du 15 janvier lui attribue.

Ainsi finit, dans une certaine mesure du moins, une période exceptionnelle entre toutes les ères exceptionnelles de notre histoire. En dehors même des assurances de M. le président de la république, c’était probablement la pensée du gouvernement de marquer ce point de transition d’un régime discrétionnaire à un régime plus régulier, en levant l’état de siège dans toute la France à la veille de la réunion des nouveaux corps publics. Ce n’est pas qu’on doive se faire illusion sur la portée politique de cette transition, ce n’est pas que l’autorité exécutive en soit sensiblement amoindrie : elle reste l’ame de la constitution actuelle ; mais, à côté d’elle, les corps délibérans ont leur action dans les conditions mêmes qui leur ont été tracées, quelles qu’elles soient ; — ils ont leur part dans l’œuvre commune. Il est bien vrai, au surplus, que leur tâche se trouve singulièrement diminuée d’avance par tout ce qui a été accompli en ces quelques mois. Peu d’époques ont été plus remplies de transformations, de créations, de modifications législatives, et peut-être s’en étonnerait-on moins en y réfléchissant un peu plus. Les pouvoirs qui succèdent à trente années de discussions ont un bonheur qu’ils n’apprécient pas toujours justement. On peut médire de la discussion : ce qu’il y a de plus vrai, c’est que le plus souvent, si elle ne tourne pas au profit de ceux qui la tolèrent, qui