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Aram, le huitième de ces souverains, n’avait pas été conservée dans les registres officiels, mais seulement dans des « chants composés par des hommes vulgaires et obscurs, et recueillie plus tard dans les archives d’état. » Ces paroles nous offrent une indication précise de ce qui fait l’essence de la poésie populaire, c’est-à-dire d’être l’expression spontanée et anonyme du sentiment des masses. Nous verrons de plus qu’à l’impersonnalité de la création, la poésie arménienne réunissait à un haut degré la signification historique ou la valeur du mythe.

Ces chants étaient fondés sur des traditions qui avaient été coordonnées systématiquement et arrangées suivant la convenance du sujet, ou peut-être dans l’ordre chronologique, ainsi qu’on peut l’induire de plusieurs expressions de Moïse de Khorène. Il paraît aussi que leur importance historique avait fixé de bonne heure l’attention des rois assyriens, suzerains de l’Arménie, qui s’attachèrent à les faire rassembler dans leur divan ou chancellerie. Ce soin jaloux de la conservation officielle et permanente de tous les documens qui perpétuaient le souvenir des événemens passés ou contemporains exista, en effet, de tout temps dans les grandes monarchies de l’Asie occidentale. Nous savons par l’auteur du Livre d’Esther (VII, 1 et 2, X, 2) avec quelle régularité étaient rédigées à la cour de Suze les annales de l’empire. Les souverains dans leurs palais, et les corporations sacerdotales dans les temples, possédaient des archives. Moïse cite celles de Ninive, de Nisibe, de Sinope et d’Édesse ; ces dernières s’étaient enrichies de tous les documens que les Romains purent se procurer en Orient, et qu’ils y accumulèrent, lorsqu’ils furent devenus maîtres de la Mésopotamie par la cession que leur en fit le roi Érouant. Des officiers publics étaient chargés de veiller sur ces établissemens, au dire du même écrivain, qui les mentionne sous le titre d’inspecteurs des mémoriaux. Cependant l’Arménie, livrée par des invasions et des révolutions fréquentes à une continuelle instabilité, n’avait aucune institution de ce genre, et, lorsque Valarsace voulut connaître l’histoire de ses prédécesseurs, il fut obligé, comme nous l’avons vu, d’envoyer fouiller les archives des Arsacides de Perse. Les chants que Moïse de Khorène recueillit de la bouche de ses compatriotes, et qu’il a rapportés textuellement, ne se transmettaient que par la communication orale.

Dans la Perse, la poésie populaire prit un essor qu’elle n’atteignit nulle autre part en Orient. L’esprit belliqueux qui anima cette puissante nation, la suprématie qu’elle exerça sur l’Asie occidentale depuis l’avénement des Achéménides, l’étendue de ses conquêtes, donnèrent aux productions de ses bardes un caractère éminemment épique. Ses traditions héroïques avaient déjà au Ve siècle, comme on en a la preuve par le livre de Moïse, une forme à peu près semblable à celle qu’elles ont affectée depuis lors. Dans le siècle suivant, un des princes de la dynastie