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qui se précipite du haut d’une pente escarpée, arrivait à grands pas sur les confins des possessions de Haïg. Il comptait sur la valeur et la force de ses soldats ; mais Haïg, ce géant réfléchi et prudent, à la chevelure bouclée, au vif regard, rassemble en toute diligence ses fils et ses petits-fils, poignée de guerriers intrépides, armés d’arcs, et d’autres hommes qui vivaient sous sa dépendance ; il se porte sur les bords d’un lac[1] dont les eaux salées nourrissaient de petits poissons. Alors, élevant la voix : Marchons, dit-il, marchons droit vers l’armée de Bélus, et efforçons-nous d’atteindre le lieu où il se tient entouré de ses braves. Si nous succombons, nos familles passeront sous le joug de la servitude ; si au contraire nos bras nous donnent l’avantage sur lui, toutes ses troupes se disperseront, et nous resterons maîtres de la victoire.

« Aussitôt, franchissant le vaste espace qui se présentait devant eux, les soldats de Haïg s’élancent dans une plaine qui s’ouvrait entre de très hautes montagnes et vont se retrancher sur une hauteur, à la droite du lit d’un terrent. Comme ils levaient les yeux, l’armée ennemie leur apparut, tourbe en désordre, courant çà et là sur toute la surface du pays avec un élan impétueux. Cependant Bélus, tranquille et se fiant sur le nombre de ses troupes, se tenait à la gauche du torrent, sur une colline, comme dans un poste d’observation. Haïg reconnut, au milieu d’un détachement de soldats pesamment armés, son adversaire, qui marchait en avant escorté de guerriers d’élite, et séparé par un long espace du gros de son armée. Bélus portait un casque de fer à longue crinière, une cuirasse en écailles d’airain qui lui couvrait le clos et la poitrine, des cuissards et des brassards ; il avait au côté gauche un glaive à double tranchant qui pendait à un ceinturon. Sa bonne lance était dans sa main droite, son bouclier dans la gauche. Autour de lui se pressaient les plus braves d’entre les siens. Haïg, voyant ce Titan armé de toutes pièces et ainsi protégé, place Arménag avec ses deux frères à la droite, Gatmos et deux autres de ses fils à la gauche, tous hommes habiles à manier l’arc et l’épée. Lui-même s’établit à l’avant-garde, range par derrière le reste de ses troupes en triangle, et les fait avancer doucement.

« Alors les géans se précipitent des deux côtés les uns sur les autres ; leur choc faisait retentir la terre d’un bruit effroyable, tandis que par leurs assauts furieux ils s’efforçaient de s’inspirer mutuellement la crainte et l’épouvante. Grand nombre d’entre eux passèrent sous le tranchant du glaive et mordirent la poussière. Cependant le succès de la lutte restait indécis. À la vue d’une résistance aussi inattendue, le roi, tout effrayé, lâche pied, et remonte sur la colline d’où il était descendu. Il pensait trouver un abri assuré au milieu des siens, jusqu’à ce que, le gros de son armée étant arrivé, il pût engager une action générale. Comprenant cette manœuvre, Haïg, l’arc en main, s’avance vers lui, et, bandant en plein et avec force son arc à la large courbure, il décoche une flèche garnie de trois ailes contre les lames d’airain qui recouvraient la poitrine du roi. Le trait, pénétrant de pari en part, lui sort par le milieu des épaules et va retomber à terre. C’est ainsi que le fier Titan abattu expire. Ses troupes, à la vue de ce coup terrible du valeureux Haïg, s’enfuient tout droit sans s’arrêter. »

  1. Le lac de Van.