Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce jour n’a prêté l’attention qu’ils méritent, leur variété, la vivacité de l’imagination orientale qui s’y reflète, le coloris local, les traces profondes de la contemplation de l’univers au point de vue chrétien unie au fatalisme de l’Orient, la manière d’Horace dans les chants érotiques, l’humour profond et fin, l’étonnante variété de l’accentuation tonique telles sont les qualités qu’y remarque un observateur intelligent. »

Ce n’est pas seulement chez les Arméniens, mais aussi chez les montagnards du Caucase et au sein de ce pêle-mêle de nations qui se sont donné rendez-vous dans ces contrées, que fleurit aujourd’hui le culte de la poésie populaire et du chant qui en est l’accompagnement obligé. Lesghis, Imérétiens, Géorgiens, Tartares, Kurdes, Turks et Persans, tous possèdent des mélodies d’un caractère simple, mais qui ne manque pas d’originalité. Celles des Persans semblent, pour la plupart, dépourvues de rhythme ; la transition brusque et inattendue d’un mouvement à l’autre dans la mesure, les intonations chevrotantes qu’affectionne la voix du chanteur, en rendent l’effet étrange et presque insaisissable pour nos oreilles européennes. Il en est quelques-unes cependant dont l’harmonie douce et triste émeut à la fois et fait plaisir, Ce que je dis de la musique persane peut s’appliquer aussi à celle des Géorgiens et des Turks. Les airs kurdes, au contraire, se distinguent par des modulations assez régulières. et ont en même temps dans l’expression quelque chose de si grave, de si mélancolique, que l’on ne saurait concevoir comment les sentimens dont ils supposent l’existence ont pu naître chez des tribus qui ne se sont révélées à nous que par des habitudes de violence et de pillage. Les mélodies des montagnards du Caucase, et surtout celles des Lesghis, se rapprochent des airs kurdes. Il y a de ces mélodies lesghies qui, suivant le témoignage de l’auteur d’un voyage récent dans les régions caucasiennes, M. Dubois de Montpéreux[1], ne s’oublient jamais, une fois qu’on les a entendues.

Il nous reste, en finissant, à former des vœux pour que la publication du recueil qui nous est promis par M. Émine, et qui est déjà en cours d’impression à Moscou, nous procure bientôt l’occasion de connaître et d’apprécier les productions de la muse populaire de l’Arménie moderne.


ED. DULAURIER.

  1. Voyage autour du Caucase, Tome III, page 444.