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une vérité est vraie ou ne l’est pas. Si l’homme peut être considéré comme une machine et si l’idéal est de le considérer ainsi en économie politique, les exploitations du pays de Galles et de Newcastle sont dans la vérité et dans l’idéal en le traitant comme tel, et lorsque le parlement de Londres, en 1842, essaya d’intervenir pour corriger ces épouvantables abus, il fut dans le faux ; il s’éloigna de l’idéal et il méconnut la science. L’ouvrage de Ricardo lui-même nous offre un autre exemple. Ricardo, au chapitre VII de ses Principes, dit en propres termes ce qui suit : « Le taux des profits n’augmente jamais par une meilleure distribution du travail, ni par l’invention des machines, l’établissement des routes et des canaux, etc… toutes ces choses ne sont avantageuses qu’au consommateur en influant sur les prix… D’un autre côté, toute diminution dans les salaires des ouvriers accroît les profits, mais ne produit aucun effet sur le prix des choses… » Quelle est la conséquence de cette énorme assertion ? C’est, si elle est vraie, et assurément elle est vraie aux yeux de l’économiste spéculatif, puisque la loi qu’elle énonce est donnée comme l’idéal auquel la pratique, suivant lui, doit aspirer, c’est, dis-je, que le capitaliste doit tendre à diminuer de plus en plus le salaire de l’ouvrier, car il accroîtra ses profits sans augmenter ses prix de vente. La prétendue vérité spéculative de l’école anglaise apparaît-elle suffisamment ici dans tout ce qu’elle a d’odieux ? La vraie vérité cependant, la vérité de fait que révèle l’expérience, offre-t-elle à l’économie pratique cet abominable idéal ? Grace au ciel, c’est tout le contraire. Dieu a mis d’accord le vrai et le juste et ce qui est immoral est toujours faux. Adam Smith, qui n’était pas si savant que de deviner les lois de la nature sans en observer les phénomènes, Adam Smith s’était occupé avant Ricardo de cette question de l’influence du taux des salaires sur celui des profits, et il était arrivé par l’expérience à une conclusion toute différente de celle de l’école actuelle ; cette conclusion aussi honnête que sensée, la voici : a Ce sont les salaires du travail, dit-il, qui sont l’encouragement de l’industrie, et celle-ci se perfectionne à proportion de l’encouragement qu’elle reçoit. Une subsistance abondante augmente la force physique de l’ouvrier, et la douce espérance d’améliorer sa condition et de finir peut-être ses jours dans le repos et dans l’aisance l’excite à tirer de ses forces tout le parti possible. Aussi verrons-nous toujours les ouvriers plus actifs, plus diligens, plus expéditifs là où les salaires sont élevés, que là où ils sont bas, en Angleterre plus qu’en Écosse, dans le voisinage des grandes villes plus que dans les campagnes éloignées. » Telle est la différence de conclusions de la vraie science économique, la science économique expérimentale, et des rêves de l’imaginaire théorie qui s’y est substituée : quand nous n’aurions que cet exemple pour décider de leur valeur comparative, on accordera qu’il suffirait.