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les lois morales dont ils sont l’application ; mais, je le répète aussi, n’y a-t-il pas une contradiction flagrante, quand on repousse à ce point les conséquence d’un système, à continuer à voir dans les principes de ce système les théories inébranlables d’une science exacte et l’idéal de l’art ?

Cette contradiction et les dangers pratiques de l’économie spéculative vont devenir plus sensibles encore dans le second ordre de faits où nous nous sommes proposé d’observer et de suivre l’influence de l’école anglaise. Nous voulons parler de l’ordre social et des transformations que, sur la foi des principes et des méthodes de cette école, on a vu, depuis quelques années, tant d’esprits chimériques et ardens rêver de faire subir non-seulement aux sociétés, mais même à la nature humaine.

Le socialisme, s’il faut l’appeler par son nom, est un fruit naturel de l’esprit spéculatif qui, depuis près de trente ans, a malheureusement dominé les études économiques. Le lien historique et logique qui rattache ici la conséquence au principe est facile à saisir. Une école s’était élevée en Angleterre, et de là s’était répandue en France, qui disait par toute sorte d’organes, qui proclamait devant des milliers d’auditeurs, qui publiait dans des centaines d’écrits : L’économie politique est surtout, est essentiellement une science de raisonnement ; elle ne se fonde pas sur l’observation des faits, elle laisse à l’art seul de l’administrateur et du politique le soin de tenir compte de ces faits ; quant à elle, elle part de la conception idéale d’une production et d’une distribution modèles de tous les biens nés et à naître de ce monde. Raisonnez, le raisonnement en ces matières vous conduira au vrai, car la nature et l’histoire sont destinées à se conformer de plus en plus aux déductions du raisonnement. Il n’était pas un seul des économistes français, des plus hardis aux plus circonspects, qui, dans ses cours ou dans ses livres, ne tînt ce langage. Les sages eux-mêmes ne cessaient de le répéter, et le nom de Ricardo et l’éloge de sa méthode étaient dans toutes les bouches. Qu’arriva-t-il ? Parmi ces milliers d’auditeurs et de lecteurs auxquels on s’adressait ainsi tous les jours, il se rencontra, comme c’était inévitable, dans la grande paix dont on jouissait, et dans les loisirs d’esprit qu’elle faisait à beaucoup de monde, des imaginations intempérantes, des ames ambitieuses, des cœurs haineux qui envahirent cette carrière. Il ne s’agit pas d’observer les faits en économie politique, se dit le premier esprit chimérique venu, il s’agit de raisonner, et de raisonner dans l’hypothèse du plus grand bonheur de l’individu et des peuples possible, abstraction faite des obstacles que les lois physiques ou morales, éternelles ou établies, opposent à l’obtention la plus rapide et à la possession absolue de ce bonheur. Toutes les passions intéressées qui fermentent dans le cœur de l’homme, qui donnent la fièvre à son esprit, qui exaltent son activité,