Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute en maint endroit, peuvent être signalés comme une production des plus curieuses. L’auteur des Reisebilder y reparaît ; il ne voyage plus de Munich à gênes, il ne visite plus les bains de la Toscane et les cimes ensorcelées du Brocken : c’est un voyage à travers les jardins fleuris de l’imagination, à travers les forêts et les broussailles de la science. Si l’idée philosophique qui préside à ce livre est funeste et condamnable, que de détails charmans rectifient la fâcheuse impression du système ! Le poète, l’artiste, le critique ingénieux sème en se jouant des réflexions profondes qui éclairent d’une lueur subite bien des monumens littéraires mal connus. Toutes les fois que M. Henri Heine reste fidèle à sa nature, il est volontiers sympathique, même sous les formes de la satire, et son intelligence en profit Quand il est homme de parti et qu’il obéit à ses colères, sa vue se trouble, son ironie se glace, et cet esprit qui se croit si libre n’est plus que l’esclave d’une philosophie étroite. Encore une fois, l’artiste qu’il faut chercher dans ces pages légères et non le théoricien. Que veut-il donc, ce théoricien ! Jugeons-le rapidement pour n’avoir plus à y revenir ; nous serons moins gêné dans nos éloges. À l’époque où Mme de Staël visitait l’Allemagne, l’examen et le doute avaient tari en France les sources de l’inspiration, et ce que l’auteur de Corinne cherchait surtout dans la patrie de Schiller, c’était ce spiritualisme, c’étaient ces croyances idéales dont les ames d’élite commençaient à se sentir altérées. De là le généreux enthousiasme qui anime son livre, de là aussi les inexactitudes de sa critique ; éblouie par le mysticisme du Nord, elle n’a pas apprécié tout ce qu’il contenait de hardiesses révolutionnaires. M. Henri Heine veut faire la contre-partie du livre de Mlle de Staël, et c’est pour cela que son travail portera le même titre : De l’Allemagne. Or, s’il faut en croire M. Heine, tout le mouvement intellectuel de l’Allemagne depuis Lessing et Kant est une lutte à mort contre le déisme. Cette lutte, il la décrit avec passion, et on dirait qu’il la conduit en personne ; il range son armée en bataille, il donne le signal et fait marcher les Titans contre le ciel, Kant, Fichte, Hegel, tous ces formidables esprits dont chaque pensée est une victoire, dont chaque formule est un bouleversement cosmogonique. Autour d’eux, en avant ou en arrière, sont groupés une foule d’écrivains, théologiens et poètes, romanciers et savans. Si l’un des combattans s’arrête comme Schelling, l’auteur l’accable d’invectives. Si un timide et poétique essaim de songeurs, comme les Tieck et les Novalis, les Brentano et les Arnim, veut ramener cette fiévreuse Allemagne à la fraîche poésie du moyen-âge, il se jette sur eux et les disperse, pareil à ces kobolds du Livre des Chants qui terrassaient les anges du paradis. Enfin, quand la lutte philosophique est terminée, il en prédit les conséquences avec une sorte de délire sauvage.