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se passait. — Encore une fois, il n’est guère probable qu’un jeune homme fût ainsi, tranquillement, à ses occupations de chaque jour, lorsque toute la population de la petite ville et du pays était soulevée par l’approche des troupes anglaises. — Bref, la tradition veut que ce garçon, quittant soudain sa besogne et la hache encore à la main, s’élance sur le lieu du combat. Les Anglais cependant battaient en retraite ; les Américains s’étaient jetés sur leurs traces. La scène du drame récent se trouvait ainsi abandonnée et déserte. Deux soldats gisaient sur le sol, dont l’un déjà n’était plus qu’un cadavre ; mais, comme s’approchait le jeune Yankee, l’autre se souleva péniblement sur ses mains et sur ses genoux, et de ses yeux grands ouverts lui jeta un horrible regard. L’enfant, sans doute par un mouvement nerveux, sans parti pris, sans même une pensée préalable, — l’enfant leva sa hache, et d’un coup bien assuré fendit la tête du soldat mourant…

« Eh bien ! je voudrais que cette tombe pût être ouverte, je voudrais savoir si on y trouverait un des deux squelettes le crâne brisé d’un coup de hache. Cette anecdote, peut-être fabuleuse, me hante comme une vérité positive. Bien souvent, par manière d’étude intellectuelle et morale, je me suis efforcé de suivre ce pauvre jeune meurtrier dans la carrière parcourue par lui depuis cette matinée fatale. J’ai voulu me rendre compte de la torture infligée à son ame par ce sang versé tout à coup, comme il le répandit, avant que l’habitude des combats eût, à ses yeux, dépouillé la vie humaine du caractère sacré qu’elle a pour quiconque n’a jamais tué, et alors que tout meurtre semble équivaloir à un fratricide. »

Le sentiment humain, philanthropique, l’instinct de fraternité qui se révèle dans ces dernières lignes, nous le retrouverons, et non moins aimable, non moins sympathique, dans un autre passage des écrits de Hawthorne où il raconte ses mésaventures administratives. Le romancier dut, on le sait, quitter sa paisible retraite de Concord pour aller à Boston remplir les fonctions d’inspecteur des douanes. Après avoir passé trois années dans la carrière administrative, il se vit frappé par une brusque destitution, quand les whigs arrivèrent au pouvoir. Bien que lié par ses antécédens et ses penchans au parti démocratique, Hawthorne n’en a pas moins écarté soigneusement de ses écrits tout ce qui pourrait ressembler à une attaque directe contre l’administration qui se montrait pour lui si peu traitable. Dans une de ses préfaces, il mentionne le fait, et vous allez voir si c’est avec amertume :

« Une de mes grandes appréhensions, — on ne renvoie guère par mesure politique un individu aussi paisible que moi, et il n’est pas dans la nature d’un employé de donner sa démission, — était de vieillir et de grisonner dans mon emploi. Je craignais qu’un long exercice de la vie officielle ne me métamorphosât en quelque animal semblable à mon vieux sous-inspecteur. Le temps ne viendrait-il pas où, comme lui, je ferais de mon dîner la grande affaire de ma, journée, passant le reste, ainsi que font les vieux chiens, à dormir tantôt au soleil, tantôt à l’ombre ? Triste perspective pour un homme qui s’est toujours