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ni ne défende la question sur laquelle elle sait ma tristesse et mon profond dissentiment. Le sage et religieux Bossuet ne serait pas l’auxiliaire d’un schisme impossible. Vous le savez, sire, il n’y a pas assez de religion en France pour en faire deux : ce qui serait ôté à la hiérarchie régulière serait infailliblement donné à la licence des opinions et à l’anarchie sceptique ; mais je m’arrête : il vaut mieux aujourd’hui, sur des questions d’art et de goût, qui sont aussi des questions sociales, suivre, comme je le fais, cette variété d’idées qui vous échappent, et où rien ne semble au-dessous de la pensée politique à laquelle sans cesse elles vous ramènent. Je voudrais que le monde pût vous entendre. »

« C’est qu’il n’y a pas, mon cher Narbonne, de littérature séparée de la vie entière des peuples. Leurs livres, ce sont leurs testamens, leurs conversations ou leurs rêves : judicieux, élevés, magnanimes, quand le peuple est grand ; vicieux, frivoles ou insensés, quand il se corrompt et s’abaisse. Ayons donc des lettres françaises dignes du concordat et de la paix de Presbourg, de Marengo et de Tilsitt ; et pour cela ayons de fortes études et une jeunesse nourrie dans l’admiration du grand et du beau. »

En recueillant ces débris de l’entretien d’un homme qui a fait et dit tant de grandes choses, en les liant avec certitude à quelques empreintes prédominantes gravées jadis en moi, et dont l’invention serait plus invraisemblable que le long souvenir, j’ai cru qu’il ne serait pas sans intérêt pour l’histoire de montrer les curiosités d’esprit, les digressions à la fois spéculatives et pratiques, dont se préoccupait par momens le dominateur de l’Europe, si près de la dernière tentative et du naufrage de sa gigantesque fortune. Il m’a semblé aussi que c’était justice envers tous de rappeler le sentiment que ce dictateur sans pareil avait de la dignité morale de la France, et la part que, dans ses vœux du moins, il faisait à la liberté des intelligences et à la gloire des lettres, au moment même où il se croyait obligé de faire peser sur l’une et l’autre un pouvoir si absolu et si funeste à lui-même.


VILLEMAIN,


membre de l’Institut.