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Le ministre des finances, M. de Cavour, est assurément un esprit vif, une intelligence ouverte, mais qui se laisse emporter parfois, par des entraînemens peu réfléchis, à des mesures inopportunes et impolitiques. Il ne fait pas toujours une distinction suffisante entre l’obstination et la force de caractère, entre les actes de témérité et les actes de vigueur. Un des inconvéniens du système dont il est l’un des champions, c’est de contracter des alliances politiques avec la pensée de se détacher. Seulement il arrive un jour où, au lieu de se servir de tout le monde, on a tout le monde contre soi. Quant aux autres membres du ministère, le général La Marmora a des qualités militaires qu’on ne saurait disputer : il est très dévoué à la constitution, sans même trop savoir ce que c’est ; mais le difficile avec lui, c’est de s’entendre sur l’article économie, et de ne point dépasser la limite de la stricte défense militaire du pays. Le ministre de l’instruction publique, M. Farini, ne s’élève guère malheureusement au-dessus d’un niveau ordinaire. C’est un Romain d’origine, qui, après les révolutions dernières, a fait une soudaine fortune en Piémont. La protection de M. d’Azeglio et l’amitié de M. de Cavour l’ont placé au ministère de l’instruction publique, où il veut montrer son savoir en faisant force décrets. Tous ces élémens réunis, on le conçoit, forment un ensemble qui ne brille pas toujours par l’esprit de suite et par la méthode. Les lois soumises au parlement n’ont pas toujours un caractère de maturité bien avéré. Voilà une des causes qui peuvent finir par faire perdre les majorités parlementaires ; c’est une situation faite pour inspirer des réflexions à MM. d’Azeglio et de Cavour surtout, qui sont les chefs du ministère piémontais ; c’est à ces hommes éminens à relever leur ascendant par une politique plus nettement dessinée. Autrement nous pourrions bien, un de ces jours, apprendre le dénoûment d’une crise qui dure encore, et dont le dernier symptôme est le vote récent du sénat. Quelque vives que soient ces préoccupations à Turin, elles n’ont point empêché la chambre des députés de voter, il y a peu de jours, le traité de commerce signé par le gouvernement piémontais avec la France. L’opposition faite par la Savoie à l’introduction des vins français n’a été que d’un faible poids, mise en balance avec les avantages de ce traité sous d’autres rapports.

Sur un autre point du monde politique, où en est l’Espagne ? C’est une question qu’on peut d’autant mieux se poser, qu’il règne une certaine obscurité sur ce qui se passe au-delà des Pyrénées. Ici, évidemment, la politique a son éclipse. Le contre-coup des événemens de France a amené, il y a quelques mois, la suspension des chambres ; le dernier attentat commis contre la reine Isabelle a produit un redoublement de sévérité dans l’action du gouvernement à l’égard de la presse. L’Espagne a maintenant son décret organique sur les publications périodiques ; les dispositions sont à peu près les mêmes que dans le décret qui régit aujourd’hui la presse en France. Le gouvernement garde la faculté de suspendre ou de supprimer les journaux ; l’autorisation préalable est nécessaire. Un des côtés par où le décret espagnol diffère le plus du décret français, c’est en ce qui touche les garanties exigées de tout gérant d’une publication périodique. L’éditeur d’un journal, outre les autres conditions civiles, doit compter vingt-cinq ans d’âge, avoir un an de domicile, payer 2,000 réaux de contribution. Toutes ces stipulations portent, à un degré assez visible, le cachet du moment ; elles ne créent point, on le voit à l’âge d’or