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tamtams et leurs cymbales. Ils rédigent et consacrent la tablette de l’ame c’est ici l’un des mystères les plus compliqués de la religion bouddhique. Dans cette tablette, où le ciseau du menuisier a creusé une laconique épitaphe, résidera une des ames qui viennent de s’envoler. Une autre ame habitera le monde des esprits ; une troisième ira, pour mettre d’accord le dogme de la transmigration et les prescriptions du Tcheou-li, habiter un nouveau corps. Pendant trois fois vingt-quatre heures, ces bonzes assourdissent le voisinage de leurs lamentations et de leurs concerts. Le jour des obsèques est enfin arrivé ; la nécromancie a désigné le lieu favorable à la sépulture. Le mort, revêtu de ses plus beaux habits, est déposé au fond de son cercueil. C’est encore un prêtre de Bouddha qui conduit le défunt à sa dernière demeure. Il s’avance en tête du cortége funèbre, récitant des prières, semant sur la route des lingots de papier pour apaiser les mauvais génies, frappant l’un contre l’autre deux bassins de cuivre pour les effrayer. Quatre hommes portent sur un brancard l’épitaphe du défunt ; le corps vient ensuite, et derrière ces restes inanimés marche un autre bonze ceint d’une écharpe rouge. Au moment où le cercueil est descendu dans la fosse, des boîtes d’artifices et de nombreux pétards le saluent d’un dernier adieu. La tablette de l’ame reprend alors le chemin de la maison mortuaire, et la famille compte un ancêtre de plus.

Pendant vingt-sept lunes, les enfans du défunt ne quitteront point les vêtemens de deuil ; mais, le jour même des obsèques, on les verra s’asseoir avec insouciance à la table où l’usage rassemble autour des mets divers dont l’ame du mort a savouré les prémices tous les amis accourus le matin à l’appel d’une famille en pleurs. La douleur officielle fera trêve à ses cris pour présider à ce repas funèbre ; le rite est accompli, et les regrets sont apaisés. Les Chinois, il faut bien le reconnaître, ne sont qu’imparfaitement doués des qualités du cœur ; la plupart de leurs vertus sociales ne sont que des liens égoïstes. Leur sensibilité s’éveille à la naissance d’un fils, futur appui de leur vieillesse, gardien du tombeau paternel et de la tablette des ancêtres ; mais lorsque, par une amère ironie, c’est une fille que le ciel envoie à leurs voeux, ils n’hésiteront point, si la misère les y excite, à sacrifier ce funeste présent, à jeter dans le fleuve cet enfant inutile pour s’épargner la peine de le nourrir. Des mandarins se sont élevés avec indignation contre cette barbare coutume. « Les filles, disent-ils, appartiennent aussi bien que les enfans mâles à l’harmonie qu’ont instituée les deux grandes puissances, le ciel et la terre. Noyer sa fille parce que l’on est pauvre, ou parce que, désireux d’avoir un fils, on craint que l’allaitement ne retarde une seconde grossesse, c’est marcher dans une voie pernicieuse, c’est agir contre toute moralité et toute civilisation. » Les juges ont beau menacer d’un châtiment sévère les parens qui voudront