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toujours des consolations. Les conversions qu’avait obtenues ce zèle infatigable étaient si nombreuses, que les païens en murmuraient, et plus d’une fois les fidèles de Chou-san s’étaient vus l’objet des violences populaires. Ces chrétiens chinois auraient pu résister à d’injustes agressions : les équipages des lorchas portugaises étaient toujours prêts à leur offrir un secours efficace, une fois même ce secours avait été accepté ; mais c’était à l’insu et pendant l’absence de Mgr Lavaissière, qui ne voulait point que le christianisme devint en Chine un sujet de discorde, et qui ne croyait, comme les premiers apôtres, qu’au succès de la mansuétude et de la résignation.

Parmi ses néophytes, le saint évêque comptait pourtant quelques insulaires dont il avait peine à réprimer l’ardeur belliqueuse, car ces braves avaient fait contre les barbares la grande campagne de 1841. Le métier des armes était dans leur famille un honneur héréditaire. En arrivant chez Mgr Lavaissière, nous trouvâmes une partie de cette légion thébaine réunie dans la cour. Il y avait là un mousquetaire avec son fusil à mèche, un archer avec son carquois et un fantassin habitué à combattre corps à corps. Mgr Lavaissière voulut bien autoriser ces vaillans soldats à nous donner un spécimen de leur savoir-faire. Le fantassin, le bras passé dans les courroies d’un bouclier, la main droite armée d’un sabre, s’avança vers nous à demi ployé sur ses jarrets comme un tigre qui rampe et guette le moment de s’élancer sur sa proie. Se couvrant de son écu, faisant voltiger son glaive au-dessus de sa tête, il simula pendant quelques minutes de rapides attaques et des retraites plus rapides encore. Je ne sais quelle figure eût pu faire un pareil soldat sur le champ de bataille, mais il eût été à coup sûr une précieuse recrue pour les comparses du Cirque-Olympique ou de l’Opéra. Après le vélite, l’archer devait avoir son tour. C’est l’archer qui forme la base des armées chinoises. Son carquois renferme deux espèces de flèches : l’une est armée d’une pointe d’acier, l’autre se termine par une boule percée de plusieurs trous et fend l’air avec un sifflement que l’homme le moins nerveux ne peut entendre sans tressaillir. Quand les armées sont en présence, cette flèche est celle qu’on lance la première. Si l’ennemi effrayé prend la fuite, on a remporté une glorieuse victoire ; s’il tient ferme, on peut essayer le pouvoir de traits plus meurtriers ou se retirer soi-même devant un adversaire trop opiniâtre. Il faut se méfier cependant, nous disait Mgr Lavaissière, d’une armée chinoise qui semble fuir ; cette manœuvre prudente peut être aussi une ruse de guerre. Souvent des fosses profondes, armées de longs épieux, ont été creusées sur le terrain où l’ennemi imprudent se laisse attirer. Un perfide gazon, supporté par de fragiles lattes de bambou, recouvre ces abîmes. Ardent à poursuivre le fuyard qui lui échappe, plus d’un vainqueur a vu la terre se dérober sous ses pas et s’est trouvé pris au piège comme une bête fauve.