Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/517

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, quand on ne fait pas soi-même ses discours, il faut qu’ils soient bons ; ainsi, voulant faire un panégyrique de saint Louis, il s’était une fois adressé à Voltaire, et, voulant maintenant faire une oraison funèbre du duc d’Orléans, il s’adressait à Rousseau. Malheureusement Voltaire et Rousseau, quand ils composaient pour l’abbé Darcy, travaillaient comme pour lui et non comme pour eux-mêmes. Aussi l’oraison funèbre du duc d’Orléans est fort mauvaise. Le héros pourtant avait quelques titres aux louanges de Rousseau. Fils du régent et premier prince du sang, le duc d’Orléans avait quitté la cour et s’était retiré à Sainte-Geneviève, où il acheva sa vie dans l’étude et dans les bonnes couvres. Cela avait de quoi toucher Rousseau, et l’homme qui regrettait de n’avoir pas été graveur et de n’avoir pas vécu obscur, devait comprendre celui qui n’avait pas voulu être prince et qui avait mieux aimé vivre dans un cloître que dans un palais.

L’ouvrage le plus important de Rousseau à cette époque est le Discours sur l’économie politique fait pour l’Encyclopédie, et qui, moins paradoxal dans sa forme et dans sa conclusion que le Discours contre les arts et les sciences qui l’avait précédé, et le Discours sur l’inégalité des conditions humaines qui le suivit, n’en est pas moins curieux à étudier, parce qu’aucun autre ouvrage de Rousseau ne montre mieux le fond de ses opinions et à quels souvenirs il empruntait sa politique.

Rousseau n’a rien des publicistes modernes ; il n’est ni de l’école de Grotius ni de l’école de Montesquieu ; il ne tient aucun compte de l’histoire, de la coutume, de l’état des mœurs et de l’âge des sociétés : il est de l’école des anciens, il est tout spéculatif ; mais ses spéculations ont toutes la morale pour principe. La morale, en effet, fait le fonds de la politique ancienne. Le législateur moderne cherche à déterminer quels sont les droits des citoyens et comment ils peuvent exercer ces droits le législateur ancien (je parle du législateur spéculatif) règle avec une autorité souveraine la conduite des citoyens de son état ; il dit ce que feront les guerriers et les magistrats, comment ils seront élevés, comment ils seront nourris, comment ils seront vêtus. Quant aux autres habitans de la ville, quant aux commerçans et aux artisans, il n’en est pas question. Dans les publicistes antiques, l’état est une sorte de couvent politique où il y a des esclaves pour faire le ménage. Les membres de la communauté s’occupent du gouvernement sans être distraits par aucun soin subalterne. Voilà l’école à laquelle appartient Rousseau. Il ne connaît et ne comprend que les petites républiques des anciens ou les petites républiques de la Suisse. La république de Platon ne comprend que huit à dix mille citoyens : les anciens, pour les grands états, ne concevaient que, la monarchie ; la république était pour eux le gouvernement de l’élite et du petit nombre.

Il y a, selon Rousseau, trois règles fondamentales dans l’économie