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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/555

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L’histoire financière de l’Espagne offre un exemple qui fit sensation en Europe au commencement du XVIIe siècle. Il était excusable de mépriser le cuivre chez un peuple qui possédait les mines du Mexique et du Pérou. Le présomptueux favori de Philippe III, le duc de Lerme, imagina donc, en 1603, de procurer un bénéfice au trésor royal en émettant des petites pièces de cuivre appelées quartillos, parce qu’elles étaient destinées à représenter le quart du réal d’argent. Les pièces ainsi dénommées, faites de billon pendant le moyen-âge, avaient été maintenues au pair jusqu’au règne de Charles-Quint. Philippe II avait commencé à réduire la quantité d’argent contenue dans le billon et rétréci le volume des pièces. Le ministre de Philippe III venait de supprimer complètement l’alliage d’argent, et d’abaisser à moitié le poids du cuivre, de sorte que la valeur nominale dépassait de 250 pour 100 la valeur intrinsèque. Pour comble d’imprévoyance, on n’avait pas songé à limiter la proportion du cuivre admissible dans les paiemens. La contrefaçon s’organisa de toutes parts, et sur une si vaste échelle, qu’il arriva une fois au gouvernement français de saisir à Dieppe un bâtiment uniquement chargé de quartillos. L’émission totale avait été portée à 6 millions de ducats (49,650,000 francs), somme déjà bien considérable pour l’époque : on constata qu’il en avait été introduit trois fois plus dans le seul royaume de Castille. Bientôt se manifestèrent des phénomènes dont tout le monde se rend compte aujourd’hui, mais qui, à cette époque, causèrent une stupeur générale. L’or et l’argent, remplacés par le cuivre, disparurent de la circulation. Acquittés en espèces dépréciées, les impôts et les créances particulières se trouvèrent par le fait réduits de moitié. On ressentit dans les prix de toutes choses des mouvemens de hausse factice, correspondant à l’avilissement du signe monétaire. Bref, le désordre et l’irritation furent tels qu’ils contribuèrent pour la plus grande part à déterminer une crise politique. Une convocation des états-généraux ayant été nécessaire en 1608, l’affaire des monnaies de cuivre fut une de celles qui passionnèrent le plus l’assemblée.

Un demi-siècle plus tard, l’impression de la crise était effacée, car les peuples asservis perdent jusqu’au souvenir. Les ministres de Philippe IV purent donc renouveler sans opposition l’expérience qui avait si mal réussi au duc de Lerme. Une petite monnaie, perdant les quatre cinquièmes de sa valeur nominale, fut émise en assez grande quantité, et pour la seconde fois le commerce et l’industrie disparurent, noyés, pour ainsi dire, dans un déluge de pièces fausses. On essaya de remédier au mal par un édit du 14 octobre 1664, qui réduisait à moitié la valeur de la monnaie de cuivre : triste expédient, qui ne servit qu’à compliquer le désordre. « Aussitôt, dit M. Weiss dans son excellente