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son créancier, quel qu’il fût, à accepter en paiement une valeur nominale d’un peu moins de 5 francs en cuivre. Or, sur les trente-six millions d’êtres humains qui composent le peuple français, il y en a vingt-quatre millions, les deux tiers, dont le revenu total, provenant de leurs salaires, ou, le croirait-on ? de leurs propriétés, ne dépasse pas 50 centimes par jour ! Cette moyenne comprenant en assez grand nombre les ouvriers qui gagnent de bonnes journées, il en résulte que les autres sont réduits à une dépense de quelques centimes pour satisfaire tous leurs besoins. L’argent n’entre guère dans ces ménages, dont les chefs rapportent le soir 1 fr. 50 cent. à 2 fr. pour quatre à cinq bouches affamées. On ne s’y plaint guère, hélas ! d’y être trop chargé par le cuivre ! Recettes et dépenses s’y font en gros sous. Quelle perte énorme pour ces familles ! que de souffrances en perspective, si la petite monnaie, subissant une dégradation insensible, allait perdre de sa puissance d’achat !

Ne nous laissons pas fasciner par ce mot d’appoint. Nous allons avancer une chose qui paraîtra incroyable à première vue, en disant que le tiers et peut-être la moitié des transactions qui ont lieu en France se soldent avec des sous, et cependant cette conjecture est très soutenable. On estime que la France possède pour 50 millions de sous et pour 2 à 3 milliards d’or et d’argent monnayés. Est-ce qu’il ne se fait pas cent fois plus d’affaires avec 100 francs en sous qu’avec 100 francs en or ? En supposant que chaque sou changeât de maître une fois par jour, et cette hypothèse n’a rien d’exagéré, il en résulterait un mouvement de 18 milliards, et cette somme correspondrait probablement au tiers, sinon à la moitié des achats et des dépenses qui se soldent chaque année en France.

Il y a d’ailleurs beaucoup de circonstances où le cuivre cesse évidemment d’être un signe pour reprendre sa qualité de marchandise monétaire : c’est ce qui arrive chez les personnes qui, recevant par profession beaucoup de petite monnaie, sont obligées parfois d’en opérer le change contre de l’argent. Il n’est pas rare que les détaillans de la campagne, ceux qui exploitent les marchés et les foires, aient en caisse des masses de sous. D’un autre côté, les chefs de fabrique et les gros fermiers sont souvent obligés de se procurer des sous pour payer leurs salariés, qui préfèrent la petite monnaie : de là un agiotage qui n’est pas sans importance, quoiqu’on ne paraisse pas même en avoir soupçon dans les hautes sphères du monde politique. Il n’y a peut-être pas de chefs-lieux de cantons où il ne se trouve un ou plusieurs boutiquiers enrichis qui ajoutent à leur spécialité le change de cuivre, et ceux-ci ont quelquefois en magasin pour des sommes considérables de leur marchandise. Le change varie selon les pays et les circonstances. Il en coûte ordinairement 20 sous pour avoir 100 francs en menue monnaie, et, quand on offre du cuivre pour de l’argent, le change s’élève