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tout, malgré les apparences, aussi heureux pour la puissance autrichienne que possible. Cette intervention en effet, en contribuant à rasseoir l’unité de l’empire sur le principe de l’égalité des races, a donné au gouvernement de Vienne la centralisation salutaire à laquelle avec raison il tendait, et l’a rendu d’autant plus libre au dehors qu’elle l’a fait plus fort au dedans.

Quand l’Autriche, après Vilagos et Novare, eut été enfin complètement pacifiée, on comprit à Vienne que les effets de cette pacification violente seraient vains, si on ne s’occupait au plus tôt de deux choses : la première de réorganiser l’empire à l’intérieur, la seconde de lui rendre dans le respect et les conseils de l’étranger une autorité que ses discordes intestines avaient sensiblement amoindrie. Le prince de Schwarzenberg, avec une activité de fer qui était autant un besoin de son tempérament physique que de sa nature morale, entreprit aussitôt d’atteindre ce double but. Ce sera un jour son honneur dans l’histoire d’y être parvenu, et de ne laisser aujourd’hui à son souverain qu’à continuer les vigoureuses traditions d’une politique qui ne date sans doute pas de lui en Autriche, mais qu’il a renouvelée avec une grandeur de bon sens et de courage vraiment digne de mémoire.

L’Autriche du prince de Metternich avait, on s’en souvient, mauvaise réputation : elle la méritait, non pas que l’aversion populaire fût de tout point aussi fondée qu’on l’a dit ; mais enfin il est constant que le prince de Metternich, dans sa connaissance profonde de la mauvaise santé sociale de l’Allemagne et sa prévoyante terreur de l’esprit d’anarchie, avait fait de certaines parties de la monarchie autrichienne quelque chose d’assez semblable à des provinces du Céleste Empire. Il y avait long-temps que tout le monde disait qu’il était impossible qu’un pareil système allât loin, que la dîme, la corvée et le reste restassent au plein soleil du rixe siècle le régime civil de la moitié des populations autrichiennes, et qu’une bureaucratie oppressive écrasât les personnes, tandis qu’une fiscalité sans pareille stérilisait les terres. On se rappelle peut-être qu’il parut en 1843, en allemand et en français, un ouvrage fort remarquable intitulé : De l’Autriche et de son avenir, qu’on attribua alors à un grand seigneur de Bohème, le comte de Bucquoy, ouvrage qui courut l’Autriche, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre et la France, et dans lequel ce déplorable état de la monarchie autrichienne était très vivement peint. Ce livre avait de longue date révélé en Autriche l’existence d’un parti libéral très dévoué au souverain et à l’unité de l’empire, mais très partisan aussi des réformes. Quand la révolution de mars eut renversé le prince de Metternich, c’eût été à ce parti, sans la violence des événemens, à hériter des affaires ; mais, on le sait, c’est le propre de toutes les révolutions de dépasser le but. La révolution autrichienne ne manqua pas d’obéir à cette triste loi. Les gens sensés avaient prêché depuis vingt ans, autant que, le prince de Metternich régnant, on pouvait prêcher en Autriche, une réforme administrative et civile ; les cerveaux creux entreprirent d’improviser une révolution politique. Au premier moment, le gouvernement de Vienne dut céder au torrent, et, bien qu’il n’eût aucune illusion sur la possibilité de faire de l’Autriche un état constitutionnel et de réunir dans le sein d’un parlement unique les délégués de dix peuples délibérant en dix langues différentes des intérêts communs de l’empire, il avait cependant assemblé à Kremsier des députés de toute la monarchie. Cette diète s’agitait dans le désordre et