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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/588

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des différentes provinces de l’empire sont aussi larges que les esprits les plus libéraux le peuvent désirer. Si ces constitutions ne sont pas aujourd’hui partout en vigueur dans l’Autriche, cela ne provient pas du gouvernement central. Celui-ci, en fait de franchises administratives, est disposé à accorder aux provinces tout ce qu’elles voudront : cela provient ici de la résistance politique de populations que rien ne peut satisfaire que l’indépendance ou l’empire, comme l’Italie ou la Hongrie, — là de l’insuffisance de la préparation des masses à la vie publique, à la vie municipale elle-même, comme en Tyrol et en Bohême par exemple, où le peuple n’a pas l’idée la plus élémentaire du self government.

La réorganisation intérieure de l’Autriche sous le gouvernement du prince de Schwarzenberg s’est donc, sinon entièrement accomplie, — un tel succès ne peut être que l’œuvre du temps, — du moins assez fortement ébauchée pour qu’aujourd’hui il soit extrêmement difficile, sinon tout-à-fait impossible à un aveugle esprit de contre-révolution de ramener violemment la législation civile et l’administration de ce pays d’avant en arrière. C’est là une conquête dont les esprits élevés doivent tenir compte au ministre autrichien. En fait de réformes législatives et administratives, il a accordé à son pays et à son temps tout ce qui était dans les besoins de l’un et dans les vœux raisonnables de l’autre. C’est un assez bel éloge à inscrire sur le marbre qui recouvrira sa tombe.

Une seule réserve peut-être doit prendre place ici. On dit, nous ne savons jusqu’à quel point le reproche est fondé, que, tout en se montrant réformateur aussi habile de la législation et de l’administration autrichienne, le prince de Schwarzenberg cependant, dans les derniers jours surtout, donnait un peu dans le parti de la germanisation. Si ce qu’on rapporte à cet égard est exact, il n’y aurait rien de plus regrettable, et ce ne serait certes pas là une tradition que la prudence conseillerait au gouvernement de Vienne de continuer. Il est bien inévitable sans doute qu’une des races de l’empire d’Autriche domine politiquement toutes les autres, et la suprématie qu’exerce à cet égard la race allemande est aussi bien fondée sur la nature que sur la tradition. La race allemande a de grands titres à l’autorité dont elle jouit dans les conseils de Vienne ; elle est la plus civilisée, elle a la longue possession. Sans être aussi nombreuse que la race slave prise toute ensemble, elle l’est plus cependant qu’aucune des différentes familles de cette race, la polonaise, la tchèque, la slovaque ou l’illyrienne ; elle l’est plus également que les races valaque et magyare ; elle est répandue ici par grandes masses, là par petites, mais puissantes colonies, sur la surface entière de l’empire ; enfin elle est le lien naturel qui réunit l’Autriche à la confédération germanique, et c’est elle ainsi qui donne à la monarchie autrichienne, à Francfort,, l’ascendant européen qui est l’ame de sa puissance historique. Cependant l’abus en aucune chose n’est la perfection de l’usage. Si les Slaves se sont si unanimement levés, en 1848, au cri de nolumus maggyarisari, ils seraient, le cas échéant, prêts à se lever aussi sous l’influence du même et très respectable sentiment au cri de nolumus germanisari. Le maintien de la prépondérance de la race allemande à Vienne est un des secrets de la force de l’empire ; mais la germanisation n’est que le secret d’en préparer la ruine. Toute tentative de germaniser les peuples slaves ne saurait tourner qu’au profit du panslavisme.