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esprit[1]. Elle aussi elle était belle, et possédait tout ce qu’il fallait pour plaire. Elle eut le plus grand succès à la cour de la reine Marie de Médicis. En allant avec elle aux Carmélites, elle rencontra Mme de Bréauté, Marie de Jésus, qui, comme elle, avait connu tous les agrémens du monde, et par ses entretiens et son exemple lui persuada d’y renoncer et de se donner à Dieu seul. Mlle de Bellefonds entra aux Carmélites en 1630 et y prit le nom d’Agnès de Jésus-Maria. Elle y montra promptement toutes les qualités qui font une grande prieure ; elle le fut long-temps, avant vécu presque jusqu’à la fin du siècle. Elle trouva le Carmel français constitué par les vertus éminentes de celles qui l’avaient précédée : elle n’eut qu’à le maintenir. Ses qualités dominantes étaient la solidité et la modération. Le chancelier Letellier la consultait beaucoup. Recherchée de toutes parts pour le charme de ses entretiens, elle cultivait la solitude et s’appliquait à la faire aimer à ses compagnes. Mlle de Guise avant offert 100,000 livres pour obtenir la permission d’entrer souvent dans le couvent, la mère Agnès refusa cette somme, disant que 100,000 livres ne répareraient point le tort fait par là à l’esprit de l’institution, qui ne se peut conserver que par la retraite et l’éloignement de tout commerce avec le monde. Sa charité était telle qu’après sa mort la mère du Saint-Sacrement, qui lui succéda, étant blâmée de pousser un peu trop loin les aumônes, répondit : « Vous êtes bien heureuse que la mère Agnès ne soit plus ; elle n’auroit laissé dans cette occasion ni calice ni vase d’argent dans notre église. » Il faut voir dans Mme de Sévigné quel cas elle faisait de la mère Agnès : « Je fus ravie, écrit-elle à sa fille[2], de l’esprit de la mère Agnès. » Ailleurs elle parle de la vivacité et du charme de sa parole[3] ; mais tous les éloges languissent devant cette lettre touchante de Bossuet écrite à la prieure qui lui succédait[4] : « Nous ne la verrons donc plus, cette chère mère ; nous n’entendrons plus de sa bouche ces paroles que la charité, que la douceur, que la foi, que la prudence dictoient et rendoient si dignes d’être écoutées. C’étoit cette personne sensée qui croyoit à la loi de Dieu et à qui la loi étoit fidèle. La prudence étoit sa compagne et la sagesse étoit sa soeur. La joie du Saint-Esprit ne la quittoit pas. Sa balance étoit toujours juste et ses jugemens toujours droits. On ne s’égaroit pas en suivant ses conseils, ils étaient précédés par ses exemples. Sa mort a été tranquille comme sa vie, et elle s’est réjouie au dernier jour. Je vous rends grace du souvenir que vous avez eu de moi dans cette triste occasion ; j’assiste

  1. Ses lettres d’Espagne, qui sont imprimées, sont pour l’agrément du style fort au-dessus de celles de Mme des Ursins.
  2. Lettre du 5 janvier 1680.
  3. Lettre du 22 novembre 1688.
  4. Édition de Lebel, t. XXXIX, p. 690.